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Débat : trois questions aux communautés religieuses du Burkina Faso
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- Titre
- Débat : trois questions aux communautés religieuses du Burkina Faso
- Créateur
- Laurent Bado
- Editeur
- L'Observateur Paalga
- Date
- 30 octobre 1996
- Résumé
-
En "Débat", nous vous proposons aujourd'hui un article qui traite d'un thème qui, pour sensible qu'il est, n'en est pas moins préoccupant: c'est la propension de certains groupes, religieux ou pas, faisant fi du droit du citoyen à la tranquillité et au repos, à déranger des voisins par des comportements on ne peut plus gênants.
Qui d'entre nous en effet n'a, par exemple, été contraint soit de dévier dans la circulation pour cause de prières en pleine rue vendredi, ou de ne trouver le sommeil qu'après minuit lorsque seulement le groupe de prières d'à côté aura achevé ses incantations?
L'auteur de l'article, Laurent Bado, comme à son habitude et avec la passion qu'on lui connaît, se fait courageusement le porte-parole de ces nombreuses personnes qui pensent comme lui, mais seulement dans leurs coeurs. - Langue
- Français
- Contributeur
- Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0002711
- contenu
-
En "Débat", nous vous proposons aujourd'hui un article qui traite d'un thème qui, pour sensible qu'il est, n'en est pas moins préoccupant: c'est la propension de certains groupes, religieux ou pas, faisant fi du droit du citoyen à la tranquillité et au repos, à déranger des voisins par des comportements on ne peut plus gênants.
Qui d'entre nous en effet n'a, par exemple, été contraint soit de dévier dans la circulation pour cause de prières en pleine rue vendredi, ou de ne trouver le sommeil qu'après minuit lorsque seulement le groupe de prières d'à côté aura achevé ses incantations?
L'auteur de l'article, Laurent Bado, comme à son habitude et avec la passion qu'on lui connaît, se fait courageusement le porte-parole de ces nombreuses personnes qui pensent comme lui, mais seulement dans leurs coeurs.
Le Dieu des musulmans, le Dieu des chrétiens, et même le Dieu des animistes est un Dieu d'amour et de miséricorde. Le Coran comme la Bible fait obligation aux croyants d'aimer leur prochain. Les religions musulmane et chrétienne, qui sont des religions révélées se fondent sur l'amour de Dieu et l'amour du prochain. Pour moi, ces deux religions sont deux formes différentes d'adoration du même Dieu Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre. On est alors musulman ou chrétien seulement par intime conviction que telle forme est la voie la plus directe et la plus pure pour aller vers Dieu. Saint-Paul écrit que “tout ce qui n'est pas le produit d'une conviction est péché"; il ajoute que “quand les païens, qui n 'ont pas la foi, font naturellement ce que prescrit la loi (de Dieu), ils sont une loi pour eux-mêmes.
On le voit bien, l'essentiel est de croire en Dieu, et mieux, d'obéir à ses commandements, de les traduire dans nos actes de la vie quotidienne de manière à faire de notre vie de chaque instant une prière. Et tout croyant a le devoir d'annoncer, de proclamer, de propager sa foi. Les musulmans, dans leur variété spirituelle et rituelle, les chrétiens, dans leur variété spirituelle et rituelle, doivent se conduire en ouvriers du vaste champ du monde qui appartient à Dieu. Ouvriers, mais non pas soldats ou guerriers, car ils n'ont pas à imposer à ceux qui ne partagent pas leur espérance, leur foi ardente, puisque Dieu a créé l'homme libre et c'est librement que l'homme accepte ou refuse de reconnaître son Dieu : tout le monde n'ira pas au paradis et ce n'est pas de force qu'on conduira tout le monde au paradis. Ils n'ont surtout pas à se livrer entre eux une guerre, car leur Dieu à tous est un Dieu de paix, d'amour, de miséricorde et leur foi ne peut s'exprimer que par l'amour de Dieu et du prochain. Plus par .l'amour du prochain qu'on voit que par l'amour de Dieu qu'on ne voit pas. L'amour de Dieu dans le mépris des autres témoigne d'une mauvaise pratique de la véritable foi ou tout simplement d'une fausse religion, une religion d'hommes et non de Dieu.
Dans les démocraties, les croyants ont le droit d'exercer leur liberté de culte. Mais comme les autres libertés, la liberté de culte ou de croyance doit être compatible avec la vie en société : la liberté arrête la liberté ! Dans un Etat républicain et laïc comme le Burkina Faso, multiconfessionnel de surcroît, il est de l'intérêt de tous que la paix soit préservée, que les religions cohabitent harmonieusement, sans prétention de l'une à s'ériger en religion d'Etat. A cette fin, il y a des règlements de police administrative qui déterminent les conditions de la pratique religieuse tout autant que des autres libertés ou droits de l'homme. Par exemple, la liberté de culte ne doit pas violer le droit à la tranquillité et au repos des autres : ce n'est pas seulement enfreindre les lois d'un Etat laïc, c'est surtout enfreindre le commandement de Dieu d'aimer son prochain, bon ou méchant, car il n'appartient pas à un homme de juger un autre à la place de Dieu. Les fausses religions, les religions d'hommes sont précisément celles qui excluent, celles qui condamnent à la place de Dieu.
Malheureusement, depuis un certain temps que notre démocratie dérive vers l'anarchie et le libertinage, des confessions religieuses ont choisi d'imposer à tous leur vision du monde et de la société, au mépris même des lois de l'Etat et de leur Dieu. Quelques exemples :
1) Une confession religieuse (que je me garde de nommer secte) était venue à Réo pour une campagne d'évangélisation; elle l'a faite avec orchestre et bataclan; mais elle a livré négativement son message : elle a condamné à l'enfer tous ceux qui mangent le porc, boivent le dolo et fument la cigarette. Or, Réo, c'est le porc au four, le dolo et c'est la majorité catholique. Une vraie déclaration de guerre.
2) Le week-end des 4-5-6 octobre, une confession religieuse (peu importe que ce soit la même ou une autre) est venue pour une campagne d'évangélisation à Réo. J'étais là; elle l'a faite avec orchestre et bataclan; mais elle a livré négativement son message : elle a condamné à l'enfer tous ceux qui mangent le porc, boivent le dolo et fument la cigarette. Or, Réo, c'est le porc au four, le dolo et c'est la majorité catholique. Une vraie déclaration de guerre.
3) Dans mon Kologh-Naba naguère si calme, si paisible où toutes les communautés religieuses vivaient en parfaite harmonie, mes frères musulmans ont choisi d'exercer leur liberté de culte au mépris du droit à la tranquillité et au repos des voisins, au mépris des lois du Faso laïc, au mépris de la loi d'amour du prochain, édictée par le Coran et par la Bible. Ils ont dressé au sommet de leur mosquée flambant neuf, bâtie sur une parcelle d'habitation, dans un lot de maisons d'habitation séparé du mien par une rue, un haut-parleur qui n'envie rien en décibels à la trompette de Jéricho. Depuis septembre, c'est ce haut-parleur, surplombant toutes les maisons environnantes, à l'exception de celle du commerçant musulman qui a édifié la mosquée à deux niveaux, qui porte à Dieu leurs cinq prières obligatoires. Contre les règlements de police qui interdisent le bruitage nocturne entre 2.3 h et 5 h du matin, je suis réveillé en sursaut à partir de 4 h 7 mn et le vacarme assourdissant reprend de 4 h 55 à 5 h 25 ! Contre mon droit au repos, je suis empêché de faire la sieste à partir de 13hl 0; contre mon droit à la tranquillité, je suis abasourdi à partir de 15h7, de 17hl0 et de 18hl0. Une vraie provocation. Mais Bon Dieu! Ils prient leur Dieu ou ils veulent que chacun d'entre nous sache qu'ils prient! Ils prient leur Dieu ou ils veulent obliger chacun d'entre nous à prier avec eux !
Au début, pour avoir cru à la proclamation officielle de tolérance de leur religion, j'ai pensé qu'il s'agissait d'une erreur d'hommes qui sera vite corrigée quand, ils entendront les plaintes des voisins. Je me trompais. A ceux qui insistaient sur leur “voisinage anormal" comme dit la jurisprudence, ils ont répondu qu'ils ont une autorisation de l'administration !!! Mais ceux d'entre eux que j'ai contactés n'ont pas hésité à me dire que j'avais entièrement raison.
Pour leur montrer que je n'avais rien contre la religion musulmane (au contraire, j'admire la fidélité du musulman à la prière et c'est un exemple édifiant pour les chrétiens), je n'ai pas songé un seul instant à recourir à la police, chargée de l'exécution des règlements de police, comme il était de mon plein droit. J'ai préféré demander conseil à une personnalité influente sur les voies et moyens à emprunter pour régler fraternellement ce différend d'ordre à la fois civil et religieux. La personnalité est revenue me dire qu'elle a pris contact avec le maire qui me demande de le saisir par écrit. J'ai donc pensé automatiquement au maire central à qui j'ai adressé une lettre datée du 27 septembre pour le prier d'user de ses bons offices pour rétablir l'ordre dans mon quartier. Le maire m'a reçu. Il m'a félicité pour mon attitude conciliante. Il a promis de déléguer un sage de son administration en vue du règlement fraternel du différend, lui-même devant aller en mission à l'intérieur du pays. Je n'ai pas eu une suite jusqu'aujourd'hui, malgré un téléphone de rappel à ses services ! C'est une semaine plus tard que, rencontrant fortuitement ma personnalité influente, celle-ci me faisait savoir qu'il ne s'agissait pas du maire central, mais de madame le maire de Baskuy, mon arrondissement. J'ai donc fait une autre requête, à l'adresse de madame le maire, que j'ai déposée dans son service le 14 octobre, en y joignant une copie de la lettre adressée au maire central. Je n'ai pas de suite jusqu'ici. Depuis donc un mois, ma vie subit un long, lent, pénible et inexorable dérèglement.
Mon droit à la tranquillité et au repos est superbement méconnu, au vu et au su des autorités investies du pouvoir de police administrative; ma liberté de croyance et de culte est égorgée à l'arme blanche d'un meeting religieux quotidien qui se passe de l'ordre laïc de l'Etat et même de l'ordre divin d'amour du prochain.
Mais, il n'y a pas que les musulmans de mon quartier à fouler aux pieds les lois du Faso laïc et le commandement de Dieu. Face à un troisième millénaire plein de doutes, d'interrogations/ d'inquiétudes sur fond noir de crises politiques, économiques, monétaires, morales et spirituelles, des croyants de toutes confessions, de tous rites, ont choisi de “vendre " leur Dieu par tous les moyens. Ainsi, des protestants tiennent en éveil les habitants de certains quartiers périphériques avec leurs tams-tams et leurs chants joyeux; des communautés catholiques de base en font autant en ce mois d'octobre consacré à Marie. Et j'en passe. C'est dans ces conditions que je pose les trois questions suivantes à tous les croyants de bonne foi et de bonne volonté:
1) Leur Dieu ou leur prophète les autorisent-ils à exercer leur culte dans le mépris de la liberté et du droit à la différence religieuse des autres? Si oui, que reste-t-il de l'amour du prochain qui est un pilier de toutes les religions révélées?
2) Leur Dieu ou leur prophète les autorisent-ils à exercer leur culte dans le mépris des lois de l'Etat laïc? Si oui, reconnaissent-ils aux autres le même droit d'enfreindre ces lois de l'Etat?
3) Concernant plus précisément les musulmans de mon quartier, puisqu'ils ne veulent pas entendre raison, puisque l'autorité administrative est démissionnaire (alors que le droit lui impose le devoir de rétablir l'ordre, la tranquillité, la salubrité publique quand ils sont remis en cause), puisque les autres communautés religieuses sont démissionnaires par peur ou par respect humain, et puisque moi je tiens à mon droit au repos et à la tranquillité et à ma liberté de croyance et de culte, que se passera-t-il, selon eux, si j'élevais un haut-parleur au-dessus de mon manguier et faisais vomir le chant grégorien aux moments où leur haut-parleur vomit leur prière musulmane?
Je le tiens pour dit : jamais je ne renoncerai à mon droit à la tranquillité et au repos ainsi qu'à ma liberté de croyance et de culte. Il y a trois ans, un musulman m'a adressé une brochure dans laquelle on prouvait que la religion musulmane était la seule vraie religion au monde. Mieux. On y soulignait que c'est par orgueil que les intellectuels ne veulent pas abandonner leur fausse religion pour adhérer à la seule vraie. Je me suis senti insulté; mais j'ai accepté. Pour moi, c'est une personne qui voulait mon salut. Seulement, c'est que mon cœur et ma raison, et Dieu seul sait que je les ai gros, m'attachent à la foi catholique. Je respecte donc toutes les autres confessions et je sais que Dieu juge les cœurs et non les apparences. A quoi sert d'être un rat d'église si on ne vit pas sa foi à travers tous les actes de sa vie; un païen aimant son prochain ne vaut-il pas mieux qu'un chrétien voleur, détourneur, impudique, asociable ? Ne vaut-il pas mieux qu'un musulman fétichiste, empoisonneur, avorteut, trafiquant véreux ? Nul n'est pur devant Dieu; nul ne peut, sauf orgueil digne de satan, juger les autres : nous serons tous jugés sur nos œuvres, sur notre conviction.
Je conclus : je mettrai à la défense de mon droit au repos et à la tranquillité le prix qu'il faut; je sacrifierai ma vie pour ma liberté de croyance et de culte. En cela, je suis certain d'exprimer mon amour pour la paix de mon pays jusqu'ici préservée et enviée à l'extérieur et pour mon Dieu à moi à qui je dois tout donner. Je me convaincs que d'autres musulmans, des frères dans la foi en Dieu, comprendront, non pas mon attitude, mais les objectifs que je recherche et qui sont la fraternité, la cohabitation heureuse, la paix pour notre Faso et pour les générations à venir, Je n'ignore pas qu'il y aura des fanatiques à froid, dont la vie sociale est d'ailleurs généralement inversement proportionnelle à leur proclamation de foi, pour trouver dans mon propos, et contre toute logique, une provocation. Je tiens à dire haut qu'aucun esprit partisan, je veux dire de clocher, ne m'habite. Et je, dis tout aussi haut que ma détermination à faire respecter le droit à la tranquillité, au repos, à la liberté de croyance et de culte n'a d'égal que l'aveuglement satanique des prosélytes de tous bords. Je souhaite, au plus profond de mon être, que toutes les communautés religieuses, la société civile, les démocrates, prêtent à mon cri d'alarme une oreille attentive. Ce que je dis est vrai et je le dis avec courage même si je dois être seul contre tous: la vérité seule nous rendra libres; le mensonge nous rendra le contraire.
A l'autorité administrative carente et traîtresse à son devoir minimal dans la conduite de la cité, je tiens à dire que si rien n'est fait pour que je retrouve ma tranquillité, mon repos et ma liberté de croyance et de culte, elle devra assumer seule les conséquences dommageables des mesures que je serai amené à prendre pour me défendre. Je prends le peuple des honnêtes gens à témoin.
Paix aux humbles croyants! Paix au Burkina Faso! Dieu sauve ma Patrie!
Laurent Bado
Croyant pratiquant
Kologh-Naba
Tél. 30.65.82
Fait partie de Débat : trois questions aux communautés religieuses du Burkina Faso