Article
Interview. Je suis un homme de Dieu, pas un politique : Dixit Lancina Traoré
- Hierarchies
-
Burkina Faso
- Articles de journaux (3615 items)
- Burkina 24 (279 items)
- Carrefour africain (33 items)
- FasoZine (116 items)
- L'Evénement (45 items)
- L'Observateur (61 items)
- L'Observateur Paalga (509 items)
- La Preuve (28 items)
- Le Pays (709 items)
- LeFaso.net (709 items)
- Mutations (13 items)
- San Finna (9 items)
- Sidwaya (1104 items)
- Publications islamiques (432 items)
- Al Mawadda (11 items)
- An-Nasr Trimestriel (16 items)
- An-Nasr Vendredi (318 items)
- L'Appel (48 items)
- L'Autre Regard (11 items)
- Le CERFIste (13 items)
- Le vrai visage de l'islam (15 items)
- Documents divers (Burkina Faso) (16 items)
- Photographies (Burkina Faso) (9 items)
- Références (Burkina Faso) (297 items)
- Articles de journaux (3615 items)
- Titre
- Interview. Je suis un homme de Dieu, pas un politique : Dixit Lancina Traoré
- Créateur
- Boureima Diallo
- Editeur
- L'Observateur Paalga
- Date
- 4 mars 1994
- Résumé
- A 70 ans, Lancina Traoré est depuis déjà longtemps un heureux grand-père. Pourtant ce fervent croyant, père de dix enfants et époux de quatres femmes, a connu des difficultés dans sa vie, et des pires.
- Sujet
- Anouar el-Sadate
- CMHV/CMBF (Crises internes)
- Lancina Traoré
- Communauté Musulmane du Burkina Faso
- Civilisation occidentale
- Intégrisme
- Mohammad ibn Abd al-Wahhab
- Nuit du Destin
- Islamisme
- Fondamentalisme islamique
- Couverture spatiale
- Kougny
- Sourou
- Tougan
- Ouahigouya
- Dédougou
- Côte d'Ivoire
- Algérie
- Égypte
- Palestine
- Soudan
- La Mecque
- Tunis
- Koweït
- Burkina Faso
- Langue
- Français
- Contributeur
- Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0002613
- contenu
-
A 70 ans, Lancina Traoré est depuis déjà longtemps un heureux grand-père. Pourtant ce fervent croyant, père de dix enfants et époux de quatres femmes, a connu des difficultés dans sa vie, et des pires.
Amputé de la jambe droite à la fleur de l'âge, à 19 ans, le jeune Lancina envisagea séreusement mettre un terme à sa vie, bercé entre un pessimisme absolu et un hymne au courage pour affronter l'adversité.
A entendre parler cet homme de Dieu, l'irrésistible tendance nous pousse à le confondre à un autre d'une autre génération, mort il y a quelques années, mais que personne n'est prêt d'oublier et que l'on cite volontiers: Amadou Hampaté Bâ.
Cet homme là était plus qu'un homme de culture. C'était une bibliothèque. Lancina Traoré en est une aussi, au moins pour ce qui concerne le domaine religieux, l'islam et la vie sociale.
Parler de l'Islam avec lui est sans conteste une cure de jouvence et un moyen de réapprendre à vivre en dépit des difficultés de toutes sortes.
Nous avons effleuré, la politique et ébauché le cas des islamistes qui, à force de prendre leurs désirs pour des réalités tentent de faire basculer certains peuples.
Nous n'en voulons pour preuve que l'Algérie qui sombre, l'Egypte en sursis, la Palestine perturbée par les actions des commandos du Hamas, du Soudan avec El Tourabi etc.
Autant l'Islam constitue une religion du pardon, autant l'islamisme demeure une réelle menace.
Avec Lancina Traoré, nous comprenons qu'il faut militer pour un humanisme de méthode qui allie judicieusement science et religion.
Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs?
Je m'appelle El Hadj Traoré Lancina. Je suis né en 1924 à Kougny dans la province du Sourou. Etudes primaires à Tougan, puis à Ouahigouya, à Dédougou et encore à Tougan; incorporé dans l'armée française en Côte-d'Ivoire, j'ai été blessé en service commandé. Cela m'a valu d'être amputé de la jambe droite au tiers inférieur du genou, le lundi 04 janvier 1943.
A l'heure où je vous parle (02 mars 1994 à 14h45) cela fait exactement 51 ans, 1 mois et 28 jours que je suis amputé de la jambe. Le 28 février dernier, j'ai fêté mon 70e anniversaire. Ma vie n'a pas été facile et elle a même été pénible pour avoir été unijambiste à 19 ans, à la fleur de l'âge. Mais grâce à mon courage, à ma foi en Dieu, j'ai su surmonter toutes les difficultés et rien ne me surprend. Tout ce qui m'arrive, je le confie au Bon Dieu. Il y a 13 ans que je jeûne tous les 13, 14 et 15 de chaque mois lunaire, je totalise 43 jours supplémentaires, ce qui fait 73 par an (43 + 30 jours de jeûne normal).
Il y aussi 13 ans que je ne mange pas la nuit, je ne prends que de la bouillie. Durant tout ce mois du Ramadam, je ne mange ni du riz, ni du tô, je ne prends que de la bouillie et je me porte bien.
Peut-on avoir une idée sur votre formation religieuse?
Ma formation religieuse est semblable au néant, du moins au départ. Comme tout enfant de ma région à l'époque, j'ai suivi une formation religieuse. (L'école coranique). Entré à l'école française, j'oubliai tous les rudiments de l'école coranique. A quelque chose malheur est bon. C'est la souffrance qui forme l'homme; ce sont les épreuves qui forment l'homme. Pour avoir perdu ma jambe à 19 ans, il me fallait lutter pour améliorer ma vie. C'est ainsi que je me suis lancé dans l'Islam car ayant une souche musulmane. J'ai commandé des livres que j'ai savamment exploités. Grâce à la foi, j'ai compris beaucoup de choses et je fais même des calendriers.
Je puis parier humblement qu'hormis le théologien Doukouré, aucun musulman aux alentours ne peut rien me montrer que je ne sache dans l'Islam. Bien sûr, je n'écris et ne parle aucun mot arabe; mais cela n'est aucunément une référence.
Dites-nous brièvement quels sont les piliers de l'Islam?
Sur le plan théologique, l'Islam est constitué par cinq piliers fondamentaux qui sont :
1) Attester qu'il n'y a de Dieu qu'Allah seul, attester la véracité de la mission de notre Prophète Muhammed (sur lui la bénédiction et le salut de Dieu).
2) Accomplir la prière rituelle cinq fois par jour
3) S'acquitter de l'aumôme légale (Al-Zakaât) une fois par an
4) Jeûner au mois de Ramadam chaque année
5) Faire le pélerinage à la Mecque une fois dans la vie.
Pour obtenir le salut ici-bas et dans l'au-delà, il est impérieux que l'homme adhère à l'Islam.
Quelles sont les différentes tendances perceptibles au niveau du monde islamique?
Dans tout le monde musulman s'opposent deux tendances qui consistent: en un islam qu'on peut appeler fondamentaliste ou intégriste et un islam moderniste.
L'islam intégriste conservateur
Au XVIIIe siècle, un mouvement intégriste dirigé par Muhammed Ibn Abd al-wahhâb prêche un retour aux sources, c'est-à-dire un islam conforme à l'origine.
Au XIXe siècle aussi est né le mouvement des frères musulmans. C'est sous les balles des frères musulmans qu'est tombé Anouar el-Sadate. Les frères musulmans se présentent comme un Mouvement fortement structuré, intransigeant, profondément masculin et xénophobe. Aucune ouverture vers l'Occident n'est tolérée.
L'islam moderniste réformateur
Cet islam pense que ce ne sont pas les armes et la guerre sainte mais la pensée, la réflexion, qui redonnent à l'Islam son prestige et son rayonnement universels.
Quelle est l'origine du Jeûne?
Le jeûne est l'un des cinq piliers de l'Islam et se classe en 4e position. Il s'accomplit au cours du mois de Ramadam, c'est-à-dire le 9e mois de l'année lunaire et au cours duquel les premiers versets du Coran ont été révélés au prophète Muhammed (paix sur lui) lors de la 27e nuit de Ramadam. Cette nuit est appelée “Lay lat-AI-QADR” ou nuit du destin, au cours de laquelle l'ange (Gabriel) Djibril vient parmi les hommes régler l'année à venir. C'est une nuit de prières et de méditation pendant laquelle Dieu est plus près de ses créatures.
En considérant le grand âge que Dieu accordait aux peuples anciens, il sembla au Prophète que les gens de sa communauté avaient une durée de vie trop brève pour leur permettre d'accomplir autant de bonnes oeuvres que leurs prédécesseurs, c'est ainsi qu'il leur octroya en compensation la nuit du destin.
Pourquoi chez les musulmans, il n'existe pas d'uniformité en ce qui concerne les dates de début du Jeûne?
Les fêtes musulmanes sont rattachées au mouvement de la lune. Or, il se trouve que l'année solaire a 366 jours si le mois de février a 29 jours et 365 jours si ce mois a 28 jours. L'année lunaire a 355 jours; considérés comme année bisextile et 354 jours comme année ordinaire. Il y a une différence de 11 jours par rapport à l'année solaire. Cette dernière est plus longue que l'année bisextile de 11 jours par an. Ce qui implique que toutes les fêtes musulmanes sont mobiles et peuvent tomber en toute saison. Pour préciser, je dirai que le jeûne de Ramadam de 1993, nous l'avons célébré le 23 février.
Si on fait une soustraction de 11 jours, en 1994, nous aurions débuté le jeûne le 12 février. En extrayant encore 11 jours, on remarque qu'en 1995, le jeûne débutera le 1er février. Nous avons une différence de 11 jours entre le 23, le 12 et le premier février. Pour que le cycle soit complet et que le mois de jeûne soit encore fixé en février, il faut encore 33 ans. C'est cela le cycle de rotation lunaire.
Pourquoi 33 ans au fait?
Chaque fête musulmane tombe trois fois sur le même mois avec un écart de 11 jours par an. Après le jeûne qui débutera le premier février 1995, il faudra attendre 33 ans pour voir un jeûne au mois de février. Généralement, peu de gens peuvent voir cette rotation trois fois, car 33 multiplié par 3, nous donnent 99 ans. Ce n'est pas facile d'atteindre ce grand âge. Les fêtes musulmanes peuvent tomber à toutes les saisons, et c'est cela la difficulté de faire un calendrier musulman; ce que je fais.
Quel est l'accoutrement décent pour un musulman. Est-il permis à un musulman d'aller à la mosquée en veste et cravate?
Bien sûr qu'on peut aller à la mosquée en veste et cravate. Mais chez certaines personnes, c'est le fanatisme qui est de mise. Le fanatisme peut avoir trois définitions:
- La méconnaissance des textes coraniques, des hadiths;
- S'entêter à ne pas reconnaître le progrès de la science;
- Toujours resté attaché aux traditions dépassées.
Pour un homme, l'Islam recommande un habillement décent. J'ai fait le pélerinage en 1959, je l'ai refait en 1993. On peut aller en veste et cravate et même tiré à quatre épingles comme si on était à une cérémonie de mariage. Ce n'est pas l'habit qui fait la religion, mais la foi. Même si par contre on est en haillons, il faut être propre. Seulement, il n'est pas du tout recommandé d'aller dans une mosquée en culotte.
- Tout récemment, il semble que vous êtes tombé malade lors de votre dernier pèlerinage, qu'est-ce qui s'est passé au Juste ?
Mon premier pélerinage, je suis parti de la Côte-d'Ivoire pour les lieux saints du 27 mai au 28 juin 1959. Ce n'était pas à la sueur de mon front car le billet m'avait été donné gratuitement. En 1993, cela datait de 34 ans. Ainsi, l'année, dernière le Koweït a fait don de 60 billets pour le pélerinage au gouvernement burkinabè. Grâce à ces billets et grâce au président Blaise Compaoré, j'ai pu obtenir un billet pour le pélerinage. Je suis tombé malade lorsque je suis arrivé sur les lieux saints. Mais j'ai été bien traité et Dieu m'a ainsi sauvé.
C'est tout de même un véritable coup dur pour vous après l'amputation de votre Jambe droite à l'âge de 19 ans. Peut-on dire que pour survivre et vivre pleinement, il faut se faire une philosophie?
La religion est fondamentale dans la vie d'un homme. Etre amputé à la fleur de l'âge, c'est difficile à accepter. Lorsque le samedi, j'ai été prévenu que je serai amputé, j'ai dit qu'à 19 ans, je préfère mourir que subir un tel sort, car je rentrais dans le monde du travail avec un grand handicap. Les anciens se sont réunis et m'ont conseillé en affirmant le contraire. Ces conseils m'ont donné une force pour affronter la vie et ainsi j'ai accepté d'être amputé.
On n'évite jamais son destin. Mais vraiment perdre ma jambe à 19 ans a été pour moi un choc terrible. Je me demandais comment une jeune fille pouvait accepter convoler en justes noces avec un mutilé.
Mais je fais confiance en Dieu car au lieu d'être mutilé, j'aurais pu mourir avec un détachement de relève à Tunis, n'eût été la décision de mon chef, le capitaine Godard de me maintenir auprès de lui.
Ainsi, je considérai mon handicap tel une simple épreuve divine et que peut-être j'étais destiné à un avenir meilleur.
Peut-on dire que vous, au moins, vous avez réussi à échapper au virus de la politique?
Je répondrai sincèrement et avec courage. Quand je vois certains bomber la poitrine et se dire militants du RDA, cela me peine et me donne à réfléchir. Moi, j'ai écrit sur plus de 200 mètres de cretonne et de percale les slogans du RDA.
Au moment de l'échec de Ouezzin Coulibaly à la députation en 1951, j'ai battu campagne pour le RDA jusqu'à être menacé de licenciement. Dieu merci, cette menace n'a pas été mise à exécution. Nous avons même été obligés de mâcher et d'avaler les bulletins du RDA. Quand on revenait de la Côte-d'Ivoire avec le corps de Ouezzin, j'étais le représentant des anciens combattants alors que certains jubilaient à l'annonce de cette mort. Ils sont là et se réclament toujours du RDA. C'est terrible!
Mais un proverbe de chez nous dit que lorsque vous êtes un marchand de colas et que vous allez en faillite, vous devriez vous orienter vers le commerce d'autre chose. C'est ainsi que de militant du RDA, je suis parti au MLN en suivant mon frère Joseph Ki-Zerbo. Mais au MLN, c'était pire qu'au RDA. Après avoir parcouru les arènes de ces deux partis, je me décidai à rester neutre pour m'adonner à l'Islam. Je suis maintenant un homme de Dieu, pas un politique.
D'ailleurs selon Lamine Gueye, un homme pour briller en politique, doit avoir trois critères:
1- Il faut savoir mentir
2- Il faut savoir voler
3- Il faut exceller dans l'art du crime. Ces trois critères, je ne les où pas, je ne veux pas les voir faire et je ne le ferai jamais. Dans la politique, rien n'est sincère.
Mais ne pas faire la politique ne signifie pas, ne pas suivre la politique. Si vous ne faites pas la politique et ne la suivez-pas, elle vous avalera.
La vie de retraité, est-ce facile?
J'ai été secrétaire administratif principal de classe exceptionnelle (catégorie B1 de l'époque) et j'étais directeur de l'office des anciens combattants et victimes de guerre pendant 14 ans et 8 mois.
La retraite n'est pas très difficile à vivre. Mais si l'on fait confiance à Dieu, tout arrive à point. Si on prend l'habitude lorsqu'on est en fonction de consommer plus qu'on ne gagne, la vie de retraité va être difficile, dure. Un retraité doit être actif.
La majeure partie des retraités passent le plus clair de leur temps à se prélasser dans leur chaise longue, à regarder les mouches voler. Mais un jour, cette chaise longue finira par se transformer en brancard. Bien que je sois handicapé, il y a de cela 51 ans, je suis actif et je vais partout. En tant que grand mutilé, j'ai une pension française qui ne me rapporte pas beaucoup, mais m'aide à joindre les deux bouts.
Interview réalisée par
Boureima Diallo
Fait partie de Interview. Je suis un homme de Dieu, pas un politique : Dixit Lancina Traoré