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Rencontre de la communauté Sant'Egidio à Barcelone : le discours intégral de l'imam Koné Idriss Koudouss
- Titre
- Rencontre de la communauté Sant'Egidio à Barcelone : le discours intégral de l'imam Koné Idriss Koudouss
- Type
- Article de presse
- Editeur
-
Le Patriote
- Date
- 13 septembre 2001
- DescriptionAI
- Lors d'une rencontre internationale de la paix à Barcelone, l'Imam Koné Idriss Koudouss, président du Conseil national islamique de Côte d'Ivoire, a prononcé un discours sur le dialogue islamo-chrétien. Il y a souligné l'importance de transcender les différences pour une coexistence pacifique, en mettant en lumière les nombreuses concordances doctrinales et similitudes sociologiques entre l'Islam et le Christianisme. L'Imam a appelé à un dialogue constructif basé sur ces convergences pour combattre le matérialisme et la déchéance morale.
- nombre de pages
- 1
- Sujet
- Conseil National Islamique
- Idriss Koudouss Koné
- Félix Houphouët-Boigny
- Mahomet
- Ahmed Tidiane Ba
- Abraham
- Forum des confessions religieuses
- Christianisme
- Dialogue interreligieux
- Paix
- Culture
- Laïcité
- Droits de l'homme
- Sant'Egidio
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0007113
- contenu
-
Rencontre de la communauté Sant'Egidio à Barcelone
LE DISCOURS INTÉGRAL DE L'IMAM KONÉ IDRISS KOUDOUSS
Sur invitation de la communauté chrétienne Sant'Egidio à Barcelone (Espagne), pour participer à la rencontre internationale de la paix, du 1er au 5 septembre dernier, le président du Conseil national islamique (CNI), l'Imam Koné Idriss Koudouss, a fait une communication sur le dialogue entre les religions Christianisme et Islam. Nous vous la proposons en intégralité.
Excellence Mesdames et Messieurs, chères sœurs, chers frères, le Conseil national islamique (CNI) de Côte d'Ivoire saisit l'occasion que lui offre cette rencontre internationale de croyants pour exprimer la reconnaissance, la gratitude et les félicitations de la communauté musulmane ivoirienne à la vaillante communauté de Sant'Egidio, lauréate en 2000 du prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix.
En effet, encourager le dialogue entre religions et cultures pour promouvoir la paix dans le monde est un défi massif que le CNI, avec la grâce de Dieu, entend contribuer à relever.
Pour ce faire, notre communication au forum Christianisme et Islam s'articulera, Inch'Allah, autour des points suivants :
▸ Perception des cultures et religions révélées,
▸ Analogies des versets coraniques et bibliques,
▸ Préalable au dialogue islamo-chrétien, concordances doctrinales,
▸ Similitudes sociologiques.
**Perception**
Dans la réalisation de ce qui fonde sa raison d'être ici-bas, l'être humain, au cours de son existence, incarne, peu ou prou, sa différence de culture par ses aptitudes, ses attitudes et son mode de raisonnement.
Mais l'analyse empirique convainc de ce que cet idéal de vie se nourrit de nombreux emprunts. Des raisons liées à l'environnement immédiat permettent d'expliquer cet état de faits. Toutefois, pour l'émancipation de l'humanité, les religions et autres groupements culturels ont élaboré des principes validant leur autorité et confirmant leur identité ou leur nature propre.
L'adhésion à ces disciplines par l'observance plus ou moins rigoureuse de leurs principes pour en tirer le meilleur profit n'a pas toujours permis la coexistence pacifique des peuples de sociétés hétérogènes, eu égard à leurs différences très souvent fondées sur l'histoire et la géographie. Cependant, la réalité historique obligeant des êtres humains de diverses confessions religieuses à partager les mêmes espaces géographiques et à gérer les mêmes institutions administratives, politiques et sociales, pousse impérativement ceux-ci à harmoniser leur coexistence pour s'accepter mutuellement, c'est-à-dire à transcender leurs différences.
Leurs différences. "Ô hommes ! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle, et nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d'entre vous, auprès d'Allah, est certes celui qui est le plus pieux" (Sourate XLIX, Al Hujurat, verset 13).
Ces confessions religieuses, comme des corps liquides dans un récipient, sans changer leur nature, deviennent des moyens de gestion avec leurs dogmes intacts.
Par exemple, des événements sociaux, dans leurs manifestations, nous en donnent des illustrations. De ce point de vue, l'islam, notre idéal religieux, en dehors des piliers fondamentaux, permet l'interprétation de sa loi. Sourate V, Al Maida (Plateau service), verset 3 : "Aujourd'hui, j'ai parachevé pour vous votre religion et accompli sur vous mon bienfait. Et il m'agrée que la soumission à Allah soit votre religion. Si quelqu'un donc se trouve en détresse et qu'il ait faim, tout en refusant de tomber dans le péché... Eh bien, Dieu est pardonneur, oui, miséricordieux."
**I. Culture et religions révélées**
Comme la base des civilisations, le fondement de nos sociétés demeure la religion. Celle-ci peut être animiste, juive, chrétienne ou musulmane. Les preuves : la cohabitation des populations à la croisée de religions et de cultures, l'alliance de certains aspects des diverses religions.
Le baptême d'un bébé, le mariage, les funérailles... en sont des illustrations. Ils sont fortement influencés par les cultures religieuses.
▸ La laïcité à géométrie variable pour occulter le traitement partial des religions dans un même pays.
Outre ces événements, l'idiome de la liturgie religieuse, notamment l'arabe pour l'Islam, a interféré dans la langue locale. Par exemple, le Bambara (langue usitée dans une grande partie de l'Afrique de l'Ouest) a emprunté à l'arabe quelques expressions : Dieu, oui, monde, puissance, célébrité, etc. L'accent de la lecture du Coran par un Bambara peut différer de celui d'un Arabe. Aussi, mise à part la barbarie manifeste pour la conquête du pouvoir temporel ou pour s'y maintenir, dans la plupart des pays du globe, on vit sa foi sans être inquiété par l'entourage, même si celui-ci, quantitativement plus important, serait de religion différente.
Ainsi, certaines populations se trouvent à cheval sur plusieurs religions et cultures. Toutefois, si le long passé religieux de ces populations leur permet de surmonter leur gêne dans l'observation de leurs pratiques culturelles, chez d'autres, par contre, la trop grande différence entre leur culture initiale et leur religion d'adoption les place souvent entre le nihilisme et l'utopie, surtout lorsqu'elles doivent s'acquitter d'une obligation, soit religieuse, soit culturelle.
Certainement, pour harmoniser la diversité religieuse et culturelle dans un moule d'amitié et de fraternité, la communauté religieuse mondiale devra perpétuer les congrès de Tripoli (février 1976), de Cordoue (mars 1977), d'Assise (octobre 1986) et d'autres non moins importantes. Pour améliorer leurs résultats, il faut progressivement transformer le dialogue inter-religieux qui a quelquefois des allures de dialogue de sourds, en tribune d'échanges enrichissants, fructueux et instructifs, c'est-à-dire sans confrontation doctrinale et sans opposition entre communautés.
À cet égard, le CNI est membre fondateur du forum des confessions religieuses de Côte d'Ivoire. Celui-ci regroupe différentes religions et ONG. Mais avant sa création en 1995, nos illustres patriarches, l'Imam Aboubakar Sacko et le Mufti Ahmed Tidiane Ba (que Dieu ait pitié de leur âme) avaient déjà initié cette tradition du dialogue islamo-chrétien en Côte d'Ivoire.
Les obstacles à un tel cadre sont certes nombreux, mais restent surmontables. Ce sont notamment :
- La défense d'une cause, très souvent bassement matérialiste au détriment de la vérité,
- La transformation de la religion en un phénomène uniquement sociologique,
- L'évangélisation dans le secret dessein de la désislamisation de certaines communautés,
- L'ignorance ou le refus de connaître la religion de l'autre,
- La substitution des préoccupations sociales aux préoccupations spirituelles,
- Les entreprises diffamatoires à l'encontre d'une religion,
- Etc.
Il est donc impérieux que nous évitions la divagation naïve, la verbosité stérile au bénéfice d'une alliance entre les religions révélées.
Cette alliance, face au machinisme, au positivisme, à l'athéisme, à la déchéance morale, se doit d'examiner des préalables avant de définir son ordre du jour.
**II. Préalable au dialogue islamo-chrétien**
L'entente doctrinale sur toute la ligne entre les deux religions étant inconcevable, l'orientation et la finalité de leur dialogue doivent se baser sur leurs points de convergences. Et ils sont nombreux. Avant de les identifier, il est nécessaire de taire les divergences qui, d'une part, récusent les théories de la déité de Issa (AS), de la trinité, de l'incarnation, du péché originel, de la rédemption et d'autre part, des prophètes dont le messager de Dieu Muhammad (SAW) ; car il n'y a pas d'islam sans Muhammad (SAW), autrement dit, il n'y a pas de message sans messager.
Au surplus, autant la foi en la rédemption est le socle de la chrétienté, autant les musulmans ne peuvent renoncer à leur profession de foi (Chahâda).
Partant, l'ordre du jour, point de départ d'un dialogue loyal et utile, comme celui amorcé du vivant du prophète Muhammad (SAW), ne soulèvera que peu de problèmes. Car, ce dialogue sera libéré de l'imagerie exubérante d'iconoclastes enthousiastes pour ne viser que le vrai culte dû à Dieu, à Dieu seul. "Et ne discutez que de la belle façon avec les gens du livre..." (Sourate XXXIX, AZ Zumar, verset 46).
Une discussion intelligente, courtoise, doit être menée à l'effet d'explorer les concordances doctrinales, les similitudes sociologiques et les analogies textuelles entre l'Islam et le Christianisme.
**III. Concordances doctrinales**
L'Islam et le Christianisme concordent sur l'existence, la transcendance, l'omniscience, l'omnipotence, la liberté, la sagesse de Dieu, le messianisme et la promesse d'une résurrection avec paradis ou enfer.
**IV. Similitudes sociologiques**
Outre les concordances doctrinales, l'Islam et le Christianisme ont une similitude de vue des principes d'une morale fondée sur la même conception du bien, du mal, de la justice, de la paix... Ils (l'Islam et le Christianisme) condamnent unanimement le vice, la violence, l'injustice, la haine, tous des signes d'impiété. Ils se méfient de la richesse matérielle, signe du terme des temps.
Ces concordances et similitudes sont confirmées par l'esprit et la lettre de certains versets coraniques et bibliques. Ces nombreux versets attestent, de façon convergente, une multitude de points de vue relatifs à la doctrine et au volet social de l'Islam et du Christianisme.
Magnifiant la sagesse divine, le Coran, à la Sourate II, Al Baqara, verset 5 révèle : "Dieu se moquera d'eux. Il les laissera persister dans leur observation."
La Bible, Psaumes II, 4 dit : "Mais, le Seigneur se met à rire ; celui qui siège au ciel se moque d'eux." Concernant le droit pénal : "Lorsque le monde touchera à sa fin, disait Ibn Omar, le souci de gagner de l'argent sera la religion des gens." L'Islam et le Christianisme compatissent aux déboires des pauvres, des faibles, des handicapés. Ces religions restent indulgentes à l'égard de la faiblesse humaine.
Pour ne citer que quelques exemples : À propos de l'aspiration au bien et à la justice, le Coran, à la Sourate I, Al Fatihat, verset 5 dit : "Dirige-nous dans la bonne voie." La Bible, Psaumes XXVII, 11, ne dit pas autre chose : "Dirige-moi sur un chemin sans obstacle."
**V. Analogies des versets du Coran et de la Bible**
Le Coran, à la Sourate II, Al Baqara, verset 178 rappelle : "Ô croyants ! Il vous est prescrit la loi du talion en cas de meurtre. Un homme libre pour un homme libre, un esclave pour un esclave, une femme pour une femme..."
La Bible, Lévitique 24, 19-20 disposait déjà : "Si l'homme blesse une autre personne, on lui infligera la même blessure : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent, on lui rendra le mal qu'il a fait à l'autre... celui qui tue un être humain doit être mis à mort." En plus de ces exemples, il en existe de nombreux autres relatifs au décret divin, à la transcendance divine, à l'amour pour le prochain, au rejet de l'injustice, au vice et à l'impiété, etc.
**En conclusion**
Ce colloque aura le mérite de poursuivre un chantier ouvert depuis plusieurs années. Il permettra le renforcement de la communauté religieuse mondiale dont les travaux, dans l'union fraternelle de la famille d'Ibrahim, combattront de toute leur énergie la déchéance spirituelle menaçant l'homme dans sa dignité et sa vocation. Cette communauté religieuse mondiale devra endiguer l'assaut du matérialisme ; elle devra lutter contre le malaise social avec ses signes manifestes : la pandémie du SIDA, les procès honteux de guides religieux accusés de crimes, les graves violations récurrentes et flagrantes des droits de l'Homme, etc.
Nous prions Allah, le très Miséricordieux, afin qu'Il accompagne de sa grâce des rencontres comme celle que voici. Notre prière et notre souhait sont que les hommes et les femmes, quelles que soient leurs cultures et leurs confessions religieuses, se connaissent davantage par un dialogue sincère : la survie de l'humanité est à ce prix. Avant de terminer, nous voulons réitérer à nos frères et sœurs de la communauté de Sant'Egidio, toute notre gratitude et toutes nos félicitations pour l'espoir qu'ils suscitent en chacun de nous. Je vous remercie.
