Article
Débat autour de "Côte d'Ivoire, poudrière identitaire"
- Titre
- Débat autour de "Côte d'Ivoire, poudrière identitaire"
- Type
- Article de presse
- Editeur
-
Le Patriote
- Date
- 16 août 2001
- DescriptionAI
- Le texte rapporte les vives réactions et critiques autour du film-documentaire de Benoît Scheuer, « Côte d'Ivoire, poudrière identitaire », et du débat télévisé qui a suivi. Plusieurs contributeurs dénoncent un débat biaisé et orchestré par le pouvoir, transformé en tribune pour des règlements de comptes politiques, notamment contre Alassane Ouattara et le RDR, plutôt qu'une discussion constructive. Ils critiquent la partialité des médias d'État, l'évitement des vrais problèmes ivoiriens (comme l'ivoirité, la xénophobie, le charnier de Yopougon), et l'incapacité des intellectuels à accepter un regard critique sur les risques identitaires du pays. Le film lui-même est perçu comme un avertissement sur les dangers d'une "poudrière identitaire" en Côte d'Ivoire.
- nombre de pages
- 1
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0007110
- contenu
-
Débat autour de "Côte d'Ivoire, poudrière identitaire"
Après le débat orchestré par le pouvoir autour du film-documentaire du sociologue belge, Benoît Scheuer, des Ivoiriens, indignés par les propos de certains participants, ont réagi. "CE FILM NE VAUT MÊME PAS DIX MILLIONS DE FRANCS"
Suite à la diffusion de « Poudrière identitaire » de Benoît Scheuer, je souhaiterais faire les cinq remarques suivantes :
Le secteur de l'audiovisuel a été marqué, depuis plus d'une décennie, par l'émergence des technologies numériques, qui permettent de réduire sensiblement les coûts de production ; en conséquence et contrairement aux affirmations des « spécialistes » en communication, présents sur le plateau, il est tout à fait possible de produire un tel document pour moins de dix millions de francs CFA. Les centaines de millions annoncés révèlent les carences technologiques de nos experts : il ne faut pas chercher plus loin les causes de la médiocrité de notre paysage audiovisuel.
Le film est par essence destiné à faire passer un message. Doté d'un minimum d'intelligence, le réalisateur, à travers l'image, nous présente son point de vue. Le film a toujours été un moyen de propagande culturelle, économique, sociale ou politique. À titre d'exemple, il n'a jamais été reproché à Oliver Stone, réalisateur controversé de « JFK » et de « Platoon » (Viet Nam), d'être partisan. On peut donc débattre de la véracité historique, mais reprocher à Benoît Scheuer d'avoir un parti pris semble surprenant, de la part d'intellectuels ; accordons-lui la présomption de candeur et d'innocence : il estime que notre pays court des risques de catastrophe, et, pour conforter ses thèses, il réalise un film documentaire.
Sachons rester calme. Acceptons le regard critique, même erroné, des autres. Ivoirien, patriote, je me suis senti profondément blessé et personnellement indexé en tant que partisan de l'ivoirité que je suis. Benoît Scheuer m'a, à travers son document, taxé de xénophobe, de falsificateur de l'histoire, de génocidaire en puissance. Je suis convaincu qu'il se trompe sur toute la ligne, mais je lui concède le droit d'avoir une opinion ; même s'il est étranger, belge, éloigné de « nos réalités ». Pour utiliser une expression utilisée lors du « débat » post-diffusion, adoptons des réactions justement proportionnées.
● Mon opinion de spectateur est que le film est incomplet : comment expliquer, en effet, que l'initiateur d'un mouvement se disant préventionniste (prévention génocides) ne propose aucune solution pour nous éviter le pire ? Que nous propose Scheuer pour désamorcer la poudrière ?
Les réactions violentes et les polémiques suscitées par « Poudrière identitaire » incombent en grande partie au mauvais traitement de l'actualité politique nationale par nos médias d'État. Y a-t-il plus partisane que la RTI ? Plus déséquilibrée ? En toute chose, l'extrême attire son contraire. À quand un débat sur le film, dirigé par un modérateur proche (idéologiquement) du RDR, animé par des invités proches du parti d'ADO et diffusé pendant quatre heures (!) simultanément sur les antennes de la Télévision et de la Radio nationale, un jour et à une heure de grande écoute ?...
Stéphane Konan (Spécialiste en Communication)
PARIS-FRANCE
DU CIRQUE, DU FOLKLORE ET... DES GUIGNOLS
Klpré Barthélémy
Réduit en une tribune pour flétrir un homme et jeter l'anathème sur une communauté, le pseudo-débat qui a suivi le film « Côte d'Ivoire, poudrière identitaire » n'a valu que par les images insoutenables de la projection.
Ensuite, tel un fauve blessé, Ben Soumahoro, le « valet » de service, comme une marionnette tchèque, a joué sa partition indigne, comme de coutume. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le débat "Côte d'Ivoire, poudrière identitaire" du belge Benoît Scheuer était déséquilibré. Tel un mauvais procès, il a été essentiellement instruit à charge. Sur le RDR et son président Alassane Ouattara, les uns et les autres ont déversé leur bile. Et le plus acharné, le plus déterminé, le plus véhément de tous fut sans conteste le député Ben Soumahoro. Et pour cause. L'ancien porte-parole du parti des Républicains supporte mal d'avoir été radié. On eut par moments la nette impression qu'il réglait des comptes trop longtemps restés en souffrance. Non seulement il a pris la parole plus qu'aucun autre intervenant, mais il totalise plus de temps de parole que tous les intervenants réunis ! En clair, c'était son émission. Si Thomas Bahinchi se montrait parfois intraitable avec certains intervenants sur le chapitre du tour de parole, en revanche Ben Soumahoro n'avait qu'à battre des cils pour qu'il lui passe le microphone. Entre les deux, il y avait une réelle complicité. Qu'on se souvienne du volet concernant la dame du Président de la République, que certains constituants avaient voulu voir noire bon teint. On vit alors Ben Soumahoro dire d'un air gourmand à Thomas Bahinchi : « Suivez mon regard ». Dès cet instant, on avait tout compris. Et il saisit la perche que lui tendit bien innocemment, faut-il le favoriser, un intervenant, M. Boigny, Mamadou Ben Soumahoro. Faut-il blâmer cet énergumène qui, de fait, est un homme fini, pour jeter le masque et laisser libre cours à son mépris pour la direction du RDR et sa haine pour Alassane Ouattara ? Comme il attendait cet instant ! D'ailleurs, il l'a confessé un peu plus tard. Il a beaucoup écrit, a-t-il indiqué, pour mettre les Ivoiriens en garde. Mais malheureusement, ceux-ci ne lisent pas, il dut prendre son mal en patience et ronger son frein. Pour lui donc, ce début consécutif au film du belge est tout « benef », du pain béni en somme. Il en a donc profité pour régler ses comptes, tous ses comptes avec la direction du RDR et son président. Mais là où le procédé manque d'élégance et confine à la lâcheté, c'est quand Ben Soumahoro accuse Ouattara sans le moindre commencement de preuves. Sur la base de son ressentiment. Car à l'aune des hypothèses, chacun peut désigner son commanditaire, celui qui est derrière le Belge. Sans d'autres preuves que le fait que des dirigeants du RDR aient fait visionner le film à des militants, il tombe à bras raccourcis sur ceux-ci et sur Ouattara. Aussi a-t-il fait le procès de Ouattara. Chefaillon d'une troupe d'anti-Ouattara, il s'est « produit » comme on dit. Tel un paon, devant une basse-cour tout acquise à sa cause, il s'est pavané et a déversé toute sa bile sur Ouattara.
Manifestement, il en était « enivré ». Il était temps pour qu'il accouche ! Le débat n'était qu'un prétexte. Il était venu casser du Ouattara et il ne s'est pas gêné. Contrairement à certains intervenants qui, par politesse, surtout par éducation, ont évité de tomber dans l'accusation facile et outrancière de Ouattara. Même si en arrière-plan, l'on sentait que certains de leurs propos visaient Ouattara plus ou moins. N'ayant aucune preuve, ils se sont bien gardés de franchir le pas. Ce qui n'était pas le souci du député de Bako. Il s'est bien chargé de descendre en flammes et de brûler, sur la place publique, le fétiche qu'il a longtemps adoré. On se rappelle en effet que c'est le même Ouattara qu'il servait hier encore.
Mais éternel « loser » de la scène politique, il a retourné sa veste comme il a jadis lâché le PDCI pour la même raison : son ambition démesurée.
Aujourd'hui sans parti, il fait la cour à Gbagbo, comme il l'a faite hier à Bédié. De toute évidence, il est plus à plaindre qu'à blâmer. Il fait désormais la politique moins par conviction que par intérêt (matériel et financier). Voilà pourquoi ses propos n'abusent personne. Il mène une lutte qui a le vernis de la politique. En vérité, il fait de la question Ouattara une affaire personnelle.
Le débat du mardi dernier participe d'une opération de « destruction » politique du président du RDR et Ben Soumahoro en était le procureur.
K.B.
UNE NUIT NOIRE...
La nuit du 14 au 15 août 2001 figurera, à n'en point douter, parmi les plus noires de notre histoire immédiate. Cette nuit-là, en effet, dans une intention intéressée, la télévision ivoirienne proposait le film du sociologue belge, Benoît Scheuer : « Côte d'Ivoire, poudrière identitaire ». L'occasion était ainsi offerte aux Ivoiriens de se regarder droit dans les yeux pour débattre sérieusement des grands problèmes qui les concernent et qui les divisent. Hélas, comme il fallait s'y attendre, ils ont préféré biaiser, tricher, truquer et mentir. Comme à l'accoutumée. On oublie trop souvent que le mérite de l'Allemagne réside moins dans sa volonté d'invention du nazisme que dans sa capacité de l'avoir assumé, digéré puis évacué. Les Allemands sont admirables d'avoir réalisé un travail psychologique collectif énorme pour tuer le nazisme qui a été leur mauvaise conscience. C'est une grande leçon d'histoire. Malheureusement, dans ce pays mien, les grandes choses n'intéressent pas grand monde. Si non comment comprendre que sur le plateau la question « qui a financé le film de Benoît Scheuer ? » (sous-entendu Alassane Ouattara, bien sûr !) était plus importante que celle-ci : « qui sont les vrais coupables du charnier de Yopougon ? » (là-dessus, on ne veut rien savoir !)
Il a fallu attendre longtemps, bien longtemps pour entendre de la bouche de M. Léopold Kouaho, le représentant du PIT, la première déclaration d'inclination à la mémoire des morts. Quelle tristesse !
Les intellectuels, dans leur immense majorité, ont passé leur temps, plutôt leur soirée, à affirmer de façon obsessionnelle que le sujet du film était faux : la Côte d'Ivoire n'est pas xénophobe et n'a de leçon à recevoir de personne. Ce qui est sûr, Benoît Scheuer, qui a fait un travail d'intellectuel, de sociologue, pour essayer de comprendre ce que pourra devenir la Côte d'Ivoire, « une poudrière identitaire si rien n'est fait », n'est pas en cause. Franchement, était-il utile de pérorer sur la nature du film : court, moyen ou long métrage ? Était-il opportun de relever les nombreux collages que le film comporte ? Tout film, comme tout texte, on le sait au moins depuis Baktine, se construit, explicitement ou non, à travers la reprise d'autres films, d'autres textes.
Quoiqu'on dise ou quoiqu'on veuille, le film pouvait très bien servir de base à une discussion intelligente et profitable pour affronter sans faux-fuyant les grands problèmes qui nous assaillent : Ouattara, l'ivoirité, le foncier rural, l'immigration, le charnier... Au lieu de quoi, les universitaires et/ou les hommes politiques ont foncé à corps perdu dans le hors sujet. Quelques morceaux choisis. M. N'Da Paul s'est réjoui d'avoir été recalé, c'est-à-dire de n'être pas apparu dans le film après pourtant cinq heures de rencontre avec l'auteur (est-il devenu un zombi ?). M. Niamkey Koffi s'est offusqué de voir ses propos être rapportés exactement (si le ridicule tuait !). Ouraga s'est acharné à dire ce que l'on ne voulait pas entendre : il assume ! (il est malheureux, le pauvre incompris) ; M. Jean-Noël Loucou répète ce que l'on savait déjà : « l'ivoirité, c'est comme la francité ! » (et après ?). M. Dédy Séry a déclaré de façon péremptoire : « M. Scheuer n'est pas un sociologue ; son film est un condensé de fantasmes belges » (quel extrémisme, quelle violence !). De toute évidence, M. Ben Soumahoro était là pour annoncer la « Bonne nouvelle » : « Le poison, c'est Alassane Ouattara (mission accomplie !) ; N'Guessan Koffi a félicité les magistrats d'avoir acquitté les huit (8) gendarmes auteurs du charnier. J'en passe et j'en oublie.
Les Ivoiriens doivent avoir le courage de rentrer en eux-mêmes pour lire leur propre histoire. J'ai été horrifié de voir certains de mes compatriotes nier le charnier de Yopougon : peut-on mourir pour rien ? Dans un article récent, Le Monde diplomatique, mars 2001 - Ryszard Kapuscinski a révélé la nature des génocides. En quelques points, je voudrais rappeler quelques cas qu'il évoque et qui sont malheureusement déjà perceptibles dans notre pays. Méditons-les pour éviter le pire.
1. La perception de l'autre comme une menace, représentant des forces étrangères et destructrices, unit tous les régimes nationalistes, autoritaires et totalitaires de notre époque.
2. Les crimes, les mensonges, la haine sont toujours organisés par des gouvernements officiels.
3. Aucun génocide du XXe siècle n'a été perpétré dans un pays où régnait la démocratie.
4. À l'origine de tout acte génocidaire se trouve en effet une idéologie de la haine méthodiquement propagée (l'ivoirité ?).
5. Enfin, dans tous les cas, le génocide est préparé et mené dans un contexte social de crise économique, politique et morale profonde, à un moment où la conscience religieuse se trouve éclipsée, les sentiments atrophiés et la capacité de distinguer le bien du mal réduite à néant.
Les Ivoiriens aimaient fredonner : "la Côte d'Ivoire est belle !" L'est-elle encore ? L'est-elle toujours ?
Cissé Idriss
Maître Assistant
22 BP 605 Abidjan 22



