Article
L'imam Aboubacar Fofana : "La réconciliation nationale est une mascarade"
- Titre
- L'imam Aboubacar Fofana : "La réconciliation nationale est une mascarade"
- Type
- Article de presse
- Editeur
-
Le Patriote
- Date
- 28 novembre 2000
- DescriptionAI
- L'Imam Aboubacar Fofana dénonce la "mascarade" de la réconciliation nationale en Côte d'Ivoire, critiquant l'injustice et le déséquilibre de traitement entre Chrétiens et Musulmans. Il affirme que la communauté musulmane est victime de discriminations économiques, politiques et sécuritaires, soulignant leur sous-représentation dans les instances de réconciliation et l'absence d'établissement des responsabilités pour les violences passées. L'Imam attribue ces problèmes à la politique de l'ivoirité et à la médiocrité des dirigeants, qui ont détruit l'unité nationale et l'économie. Il appelle à un État laïc et juste, avertissant de ne pas exacerber les tensions, tout en exhortant sa communauté à la paix et au pardon.
- pages
- 1
- 4
- 5
- nombre de pages
- 3
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0007068
- contenu
-
INTERVIEW EXCLUSIVE
2ème partie
Imam Aboubacar Fofana :
"LA RÉCONCILIATION NATIONALE EST UNE MASCARADE"
Deuxième partie
L'Imam Aboubacar Fofana :
LA RÉCONCILIATION NATIONALE EST UNE MASCARADE
Hier comme aujourd'hui, l'imam Fofana dit ses quatre vérités. En des termes crus qui suscitent déjà beaucoup de réactions. Il parle d'une Côte d'Ivoire déchirée, minée par l'injustice et que le déséquilibre de traitement entre Chrétiens et Musulmans face à l'autorité ne fait qu'enfoncer davantage. Il traite enfin d'une réconciliation mal engagée et qui, selon lui, n'aboutira qu'à une mascarade. Une interview-vérité.
Interview réalisée par La Rédaction
LP : Beaucoup aujourd'hui sont ceux qui pensent que vous avez le pouvoir économique parce que vous contrôlez une bonne partie des secteurs productifs, et donc vous devez vous passer de la gestion du pouvoir politique. Est-ce que vous ressentez la chose ainsi ?
L.A.F. : Non. L'économie ivoirienne est repartie entre les voinens. Il y en a qui sont des agriculteurs et qui sont donc des paysans. Certains sont commerçants et d'autres transporteurs. Cette pensée que vous venez d'évoquer doit être bannie. Lorsque, en son temps, Fon a fait la liste des millionnaires de Côte d'Ivoire, il ne s'agissait que des membres de communautés autres que la communauté musulmane. Mais nous n'avons pas affiché de jalousie vis-à-vis de ces gens. Nous n'avons pas cherché à savoir pourquoi et comment ils avaient eu ces milliards. La réalité en Côte d'Ivoire, c'est que la part des paysans agriculteurs n'a pas été bien répartie. Nous savons comment le café était vendu à l'extérieur et comment il était acheté en Côte d'Ivoire. C'est cela le vrai problème. La part du paysan ne lui a pas été rétrocédée. Mais ce ne sont pas les musulmans qui sont auteurs de cette injustice. Des individus bien connus, des Ivoiriens, se sont remplis les poches et sont allés placer cet argent dans les banques suisses et ailleurs. Ils sont connus. Mais on ne leur dit rien. On s'en prend au contraire à des gens qui ont souffert, amassant progressivement sous après sous. L'idée qui dit que nous avons tout pris doit être rectifiée. Nous n'avons rien volé à personne. Nous n'avons fait que travailler. Nous sommes venus très tôt. Nous étions après les Ébriés, les premiers à Abidjan. Nous avons participé à tous les travaux de développement de la ville d'Abidjan. Il en est de même pour les villes comme Gagnoa où nous étions les premiers à arriver après les Bétés, à Daloa, Man, etc. Nous n'avons rien fait contre les autochtones. Nous n'avons fait que les aider. Mais toutes les lois qui ont été instituées depuis l'indépendance jusqu'à nos jours ont été en notre défaveur.
Tout a été fait pour nous brimer. Prenons l'exemple du secteur du transport que nous contrôlons. Quelqu'un peut-il s'en sortir aujourd'hui dans ce secteur ? Avec le coût élevé de la fiscalité, le prix du carburant qui passe de 100 F à 500 F et plus, quel est le transporteur qui peut s'en sortir avec de telles conditions ? Mais tout ceci relève d'une volonté politique. Dans ce pays, il faut qu'on dise la vérité à la population. Il y en a qui ont volé les paysans. Certains ont volé les contribuables. D'autres ont volé l'État ivoirien et il y en a qui continuent de le voler. Mais on ne leur dit rien. Certains vivent de rentes clandestines et veulent continuer à vivre ainsi. On oublie ceux-là pour s'acharner sur le petit commerçant qui passe tout le temps à se battre pour gagner sa vie. On vient brûler sa concession. Dire donc que nous ne devons pas nous intéresser au domaine politique parce que nous triomphons dans le domaine économique, c'est aller contre la démocratie. Parce que cela est bien contraire au principe de la démocratie. Tout le monde est libre d'aller dans le sens qu'il juge bon. Nous n'empêchons personne de faire de la politique, il ne faudrait donc pas que quelqu'un veuille nous en empêcher.
LP : À lire aujourd'hui les prises de position du clergé musulman dont vous faites partie, on sent nettement que les leaders religieux en Côte d'Ivoire ne sont pas en phase, cependant qu'il y a eu beaucoup d'occasions de rencontres et d'échanges entre eux. Qu'est-ce qui fait que les leaders des différentes confessions religieuses en Côte d'Ivoire apparemment ne parlent pas le même langage sur la situation ?
L.A.F. : Il faut dire que nous n'avons pas la même vision du pays. Il y en a qui pensent que la Côte d'Ivoire doit revenir à leur seule confession et par conséquent, font tout pour exclure les autres. Tout le problème est là. Certains pensent que ce sont eux qui doivent bénéficier de tous les privilèges et que les autres doivent être exclus. Les autres doivent être uniquement des contribuables et non des bénéficiaires du privilège. Le problème est à ce niveau. Le jour où nous allons tous nous considérer comme enfants d'un même pays, il n'y aura plus de problème en Côte d'Ivoire. Si le gouvernement traite équitablement toutes les confessions parce que le pays est le nôtre, il n'y aura plus de problème. Si l'on donne à chaque groupe sa part sans problème, il n'y aura plus de frustration. Qu'on finance les écoles musulmanes autant que les écoles catholiques parce que nous avons tous contribué. C'est ça le principe de la laïcité et non le fait que pendant quarante ans on donne des milliards à une confession sans rien donner à l'autre. Et lorsque nous voulons décrier cela, on utilise des pseudo-représentants pour nous dénigrer. Nous sommes les seuls dont les lieux de culte ont toujours été gazés et brûlés. Les seuls dont les leaders ont été interpellés par la gendarmerie. La gendarmerie avait reçu l'ordre de nous tabasser le jour de notre interpellation. Ce qu'elle aurait exécuté n'eût été le soulèvement très tôt le matin, ce jour-là, de nos fidèles. Le problème est à ce niveau. Ce que nous demandons est que l'État se situe à égale distance de chaque confession. Nous avons dit cela à Bédié, mais celui-ci ne nous a pas écoutés. Et tout le monde a vu le résultat. Idem pour Guéi. Aujourd'hui, Gbagbo semble suivre le même chemin. Mais une chose est à signifier : si l'État n'arrive pas à respecter sa laïcité, nous nous battrons jusqu'à ce qu'il le respecte. Nous ne nous laisserons pas faire.
LP : Nous allons aborder la question de la réconciliation dont tout le monde parle aujourd'hui. Cette réconciliation vous semble-t-elle possible ? Si oui, dans quelles conditions ?
L.A.F. : Depuis que le concept de l'ivoirité est né, la Côte d'Ivoire ne fait que s'enfoncer. Nous, celle-ci est-elle finie ? Voici autant de questions auxquelles il faut répondre. Il ne s'agit pas de parler simplement de réconciliation. Et pour noyer le sujet, on dit qu'il faut étendre les faits à tous les événements que la Côte d'Ivoire a connus depuis l'indépendance.
L.A.F. : Cette réconciliation, telle que nous la voyons venir, se situe dans le cadre de la même mascarade que nous avons déjà connue. Comment peut-on parler de réconciliation quand le chef de l'État refuse de recevoir les responsables des victimes ? Par quoi peut-on expliquer cela ? Nos mosquées sont incendiées, nos enfants sont tués. Nous voulons que le président nous reçoive pour que nous lui disions ce que nous pensons et pour savoir sa version des faits, et il refuse de nous recevoir. Ça, je le comprends difficilement. Comment peut-on prétendre faire une réconciliation alors que les responsabilités ne sont pas situées ? Alors qu'on ne connaît pas les motivations latentes et patentes des crimes commis ?
LP : Vous pensez donc qu'une Commission d'enquête indépendante, qui n'est toujours pas installée et à laquelle d'ailleurs l'on a renoncé, aurait dû précéder la Commission nationale de réconciliation ?
L.A.F. : On parle de réconciliation sans savoir qui et qui doivent être réconciliés. S'agit-il de réconciliation entre Chrétiens et Musulmans ? S'agit-il de réconcilier le Nord et le Sud ? Dans chacun des cas, qui a fait quoi contre qui ? Quelles en ont été les conséquences ? Qui a été victime ? Quels ont été les dégâts ? On ne sait rien de tout cela et on parle de réconciliation. Nous, aujourd'hui, savons que la gendarmerie, une force républicaine, avec elle, une partie de la police, ont arraché nos enfants à l'affection de leurs mères et de leurs pères pour aller les tuer froidement. Et dont on a jeté les corps à Yopougon dans un charnier. Nous sommes convaincus que ces forces de l'ordre ne peuvent pas volontairement s'adonner à de tels comportements sans en avoir reçu l'ordre. Qui a donné l'ordre ? Qu'en a été la motivation ? S'il s'agissait d'une haine contre les musulmans, pourquoi en son temps, on n'a pas cherché à résoudre ces problèmes ? Je me rends compte que jusque-là, les décideurs politiques en Côte d'Ivoire ont adopté une philosophie qui stipule qu'en politique, on ne résout pas les problèmes mais qu'on les déplace. On en a tellement déplacé en Côte d'Ivoire que le pays est aujourd'hui sur le point de devenir une autre Somalie. On a déplacé tellement de problèmes que le pays est aujourd'hui au bord de l'explosion. Il s'agit de résoudre les problèmes, cas par cas, notamment les événements des 24 et 25 octobre 2000, le génocide du 26 octobre. Savoir qui a fait quoi pour que de telles choses ne se répètent plus. Si on abandonne les faits, sans en avoir dégagé les motivations profondes, demain, ils reprendront. D'ailleurs, la composition du Comité de réconciliation en question est parlante.
LP : Expliquez-vous un peu.
L.A.F. : S'agissant de la représentation des religieux dans cette commission, il y a Monseigneur Bernard Agré, Monseigneur Dakoury et la présidence de la communauté musulmane, c'est Diaby Koweit qui, en réalité, n'est qu'une autre représentation de l'Église catholique et qui n'a jamais été un représentant de la religion musulmane. Je le sais et je sais de quoi je parle. Qu'on me pose la question et je répondrai. Il n'a jamais défendu la cause de l'Islam. Il a été une marionnette des gouvernements successifs et un espion des autres confessions dans la communauté musulmane. Et c'est lui en présidence qui passe avant le COSIM (Conseil supérieur des Imams) qui est l'unique représentant de la communauté musulmane dans les faits. C'est dire donc que les Musulmans ne sont pas bien et suffisamment représentés dans la Commission de réconciliation. Est-ce cela la réconciliation ? C'est encore là l'impression du mépris. Et quand on cherche à savoir pourquoi il en est ainsi, on nous répond que c'est le protocole de la présidence qui a décidé cela. Si tel est le cas, cela veut dire que le gouvernement de Gbagbo continue les politiques pratiquées par ceux de Bédié et de Guéi. Si tel est le cas aussi, nous allons continuer dans la même démarche pour rétablir la justice, la vérité et le respect de notre communauté. Parce qu'il n'appartient pas à une autre communauté de choisir à notre place nos représentants. En réalité, c'est ce qui s'est passé. Ce sont d'autres religieux qui ont choisi pour la communauté musulmane ceux qui devaient la représenter. Combien de personnes nous représentent-ils, nous qui avons été la principale victime ?
LP : Mais il s'agit d'une Commission de réconciliation pour tous les événements allant du 24 au 26 et le 27 octobre.
L.A.F. : Dans tous les cas, moi je dis que le problème n'est pas à ce niveau. Tout le monde sait que 95 % de ceux qui sont morts sont des musulmans. Et tous les événements qui se sont produits ces derniers temps ne concernent que nous, les musulmans. Les jeunes gens qui ont été torturés ou incarcérés, suite au "Complot du cheval blanc" de Guéi, c'étaient des jeunes musulmans et des nordistes. Parmi tous les généraux de l'armée, il n'y a que nos frères Palenfo et Coulibaly qui continuent d'être incarcérés sans raison. Pendant ce temps, on cherche à se réconcilier avec nous. Le problème est grave. Et je ne comprends pas comment et pourquoi on traite avec tant de négligence le problème des musulmans en Côte d'Ivoire face à la tension. Réfléchissez bien, vous vous rendrez compte que nous sommes la communauté musulmane la plus pacifique du monde. Mais qu'on sache que la glace a beau être gelée, lorsqu'on la met au feu, elle devient de l'eau chaude. Qu'on n'exagère pas. C'est tout ce que nous demandons.
LP : Là, vous menacez !
L.A.F. : Je ne menace pas. Mais qu'on n'exagère pas ! Tous ceux qui ont été tués sont des musulmans. Tous ceux qui ont été arrêtés et torturés sont des nordistes et des musulmans. Tous ceux qui sont rackettés par la gendarmerie sont des musulmans. Toutes les tracasseries et retraits de cartes d'identité ne se font que sur des musulmans. Où allons-nous ainsi ?
LP : Est-ce que selon vous, il y a lieu d'espérer malgré tout, quant à l'avenir de la Côte d'Ivoire ?
L.A.F. : Ça dépend des autorités. Si elles continuent dans leur politique de l'ivoirité, elles compteront les retombées un jour. Depuis que ce concept est né, la Côte d'Ivoire ne fait que s'enfoncer. Depuis que l'ivoirité est venue, la Côte d'Ivoire ne s'est plus retrouvée. Nous avons perdu la bonne image que nous avions. L'unité nationale et la fraternité qui étaient un socle de la vie entre les Ivoiriens n'existent plus. On se regarde en ennemis. On est même allé jusqu'à se tuer gratuitement. Qu'est-ce qui reste d'un État qui a perdu toutes ces valeurs ? Une nation se fonde sur l'affection et la fraternité, nous n'en connaissons plus. La solidarité, la justice sociale, l'égalité devant la loi, nous avons perdu toutes ces valeurs. Notre nation ne repose plus sur rien. On est proche de la Somalie. L'armée n'est plus une armée. La gendarmerie est devenue une milice. Certains policiers sont devenus des racketteurs à longueur de journée. Des gens qui pourtant sont payés et habillés grâce à nos impôts passent tout le temps à nous escroquer, à nous bastonner, à nous tuer !
LP : À quoi faut-il s'attendre aujourd'hui ? Est-ce qu'après tous ces événements du 26 et du 27 octobre, les tracasseries quotidiennes, les exactions, il faut s'attendre à un repli identitaire au sein de votre communauté ?
L.A.F. : Je ne me prononcerai pas sur cette question. Nous avons analysé ce qui s'est passé et nous devons en tirer beaucoup de leçons. Je pense que nous n'avons plus le droit de permettre que cela se répète de la même manière et dans les mêmes conditions.
LP : Rien ne sera plus comme avant alors, à vous entendre.
L.A.F. : Je souhaite espérer que rien ne sera plus comme avant. Il faut que les uns et les autres cessent de penser qu'on puisse agresser un peuple comme la communauté musulmane de Côte d'Ivoire. Ou qu'on puisse exterminer une communauté comme elle. Nous n'avons rien fait de mal contre qui que ce soit. Nous n'avons fait que participer activement à la construction de notre pays. Que les autres acceptent que nous soyons sur le même point d'égalité malgré nos différences religieuses, ethniques, idéologiques et régionales. Je reviens sur la question relative au fait que les leaders religieux musulmans font de la politique. Pour dire que si ce que nous avons fait jusqu'à maintenant s'appelle faire de la politique, alors nous ferons toujours de la politique. J'en profite pour dire aux acteurs politiques de relever le niveau du débat politique en Côte d'Ivoire. Ils se sont montrés trop médiocres à la face du monde entier. Ils ont terni l'image de la Côte d'Ivoire par des problèmes d'origine, de ceci et de cela. La Constitution ivoirienne dit dans son préambule que tous les citoyens sont égaux devant la loi sans distinction de race, d'ethnie, de religion, d'origine. Pourtant tout le débat politique en Côte d'Ivoire ne fait que tourner autour des origines des uns et des autres. Et pas avec la même appréciation chez tous. Quand il s'agit de certains, on se fait, feignant de ne rien savoir. Mais quand il s'agit des autres, on s'acharne. Et l'on est resté focalisé sur l'origine d'une seule personne. Nous ne voulons défendre personne. Mais tous savent que l'État ivoirien a tout fait pour démontrer que M. Alassane Dramane Ouattara, président du RDR, n'est pas de nationalité ivoirienne. Mais il en était incapable. Et l'État ivoirien a été obligé de faire trois fois du faux pour démontrer cela. Voulez-vous qu'on le suive dans cette dérive ? Ce problème ne nous concerne pas. Alassane est là, il entretient son parti avec ses moyens comme tous les autres leaders. Mais nous n'avons aucun complexe pour dire que la communauté musulmane soutient Alassane.
LP : Comment comprendre que dans "Jeune Afrique", on nous dit que c'est un religieux qui est allé rencontrer le président Eyadema pour demander à un candidat de se retirer ? Pour revenir à votre question, je m'inscris en faux contre le fait qu'on dise que c'est Alassane qui a été le premier à mêler la religion au débat politique en Côte d'Ivoire. C'est une contre-vérité. Je me rappelle que lors de l'enterrement d'Houphouët-Boigny, un religieux a surpris tout le monde en disant que l'Église catholique est devenue orpheline parce qu'elle a "perdu son protecteur". Et que la communauté musulmane avec son Conseil Supérieur des Imams (COSIM) voudra un jour imposer un des siens. C'était en 1994. Et la fameuse déclaration d'Alassane a été faite en 1999. Qui a été le premier à mêler la religion au débat politique ? Voilà. Nous disons que nous, religieux, devons rester dans notre cadre religieux. Nous ne devons jamais entrer dans les intrigues politiques. Lors de la nuit électorale organisée dans le cadre des dernières échéances présidentielles, je connais bien deux grands hommes religieux qui ont pratiquement passé toute la nuit au ministère de l'Intérieur pour influencer la proclamation des résultats. Nous les avons observés. Ils se connaissent. Ce ne sont pas des musulmans. Qu'ils nous disent ce qu'ils cherchaient là-bas. C'est donc le genre d'amalgames qu'il faut éviter. En ce qui nous concerne, nous ne nous reprochons rien. Nos prises de position s'inscrivent dans la droite ligne de nos textes et des textes de la République. Nous faisons partie de la société civile. Nous avons dit que nous nous réservons le droit d'intervenir dans toute situation où la nation est menacée. Nous avons prévenu tout le monde à propos de ce que nous vivons aujourd'hui. La Commission de réconciliation qui vient d'être mise en place ne pourra faire que constater les dégâts qui ont été causés. On aurait pu éviter tout cela. Cette Commission est dirigée par Ekra Mathieu qui était à la tête de la Commission consultative constitutionnelle et électorale (CCCE). Mais si les travaux de cette Commission avaient été pris en compte, si l'on avait été courageux vis-à-vis de Guéi, ce qui est arrivé ne serait pas arrivé. J'étais membre de la CCCE. Quand Guéi est venu nous vilipender, nous avons écrit un texte pour répondre à ses déclarations. Texte qui n'a jamais été publié. Et c'est Guéi lui-même qui en sait les raisons. Nous nous sommes plaints.
LP : Le mois de Ramadan a débuté hier, est-ce que vous avez un appel particulier à lancer aux Ivoiriens ou des recommandations en tant que chef religieux ?
L.A.F. : En cette période trouble, je pense que je ne peux que répéter ce que j'ai déjà dit et qui, à mon sens, est bien compris par notre communauté. C'est-à-dire, de vivre en paix avec tout le monde et de pardonner. Pendant ce mois de jeûne, nous demandons à tous les musulmans d'abord de remercier Dieu pour tous les bienfaits qu'il nous a accordés depuis l'an dernier. Même si quelques fois l'épreuve a été difficile à braver, nous estimons que nos prières ont été exaucées et largement. Cette reconnaissance à Dieu, tous les Musulmans de Côte d'Ivoire doivent la faire. Deuxièmement, nous demandons à nos fidèles de prier pour les autres qui ont été gagnés par le diable. Fasse Dieu que le diable quitte leurs cœurs. Il faut que la haine s'éloigne d'eux. Il faut vraiment prier pour eux. Car souvent, l'on a l'impression que tout le monde est libre, alors que les gens ne sont pas libres. Ils sont sous l'emprise du diable, ceux qui ont tué, qui ont fait du mal. Nous prions Allah de les aider à se débarrasser de ce vilain sentiment qu'est la haine. Nous demandons également aux fidèles musulmans de demander à Dieu de pardonner nos fautes à nous. Nos fautes que nous savons et celles que nous ne savons pas. Nous demandons à Dieu d'aider les acteurs politiques de Côte d'Ivoire à élever le débat politique à un niveau plus haut pour que nous sortions des problèmes que nous connaissons. Parce que tout le problème que connaît la Côte d'Ivoire est dû à la médiocrité de certains de nos hommes politiques. Le monde entier nous reproche cela aujourd'hui. Nous sommes en train de ternir l'image de notre pays. Nous avons ruiné l'économie, le tissu social est fissuré. La haine s'est installée. Nous prions Dieu pendant ce mois de Ramadan de faire en sorte qu'il y ait en Côte d'Ivoire un changement profitable à tous les fils et toutes les filles de ce pays.