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Ivoirité, tribalisme, intégriste
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- Titre
- Ivoirité, tribalisme, intégriste
- Créateur
- Martial Joseph Ahipeaud
- Editeur
- Le Patriote
- Date
- 5 août 1999
- Page(s)
- 1
- 5
- nombre de pages
- 2
- Langue
- Français
- Contributeur
- Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0007029
- contenu
-
L'Ivoirité, selon son concepteur, est donc ce « sentiment d'appartenance culturelle… conciliant identité, paix civile, tolérance et ouverture sur l'extérieur, … valeurs propres au peuple de Côte d'lvoire ». Qui plus est, elle s'inscrirait en toile de fond comme une résistance contre la tendancieuse évolution sociologique actuelle qui, au moment où le capital international tend à disloquer les frontières nationales, conduit à l'émergence d'un nationalisme dégradant, pour ne pas dire « étriquée, dégénéré, exacerbé ».
Ainsi défini, le concept présuppose de la part de son créateur une unité de la pensée tant théorique que pratique. L'homme, président de la République, devrait donc être en mesure de nous démontrer la praticabilité de sa vision. Pour notre part, Ivoiriens nés après les indépendances, ayant vécu le quotidien politique du régime et vivant la réalité du racisme au quotidien dans les capitales occidentales, le concept de l'Ivoirité est un prolongement de l'idéologie droitiste négationiste internationale dont le régime Bédiéiste est une reproduction locale. Pis, c'est la confirmation de la systématisation des conceptions tribalistes cachant en réalité un nouveau type d'intégrisme. Or la systématisation de toute théorie sur les « races », ou encore les « <entités » décrétées spécifiques par les tenants du pouvoir, précède toujours les génocides. C'est pour cela que nous pensons que le débat instauré par JA est salvateur en ce sens qu'il permettra à l'opinion publique internationale de voir comment se forment les pogroms, des années, voire des mois avant. Car il est fondamental de ne pas dissocier le concept d'Ivoirité avec le processus politique en cours ces dernières années en Côte d'Ivoire. Il est de notre avis que Bédié s'essaie à la théorisation d'une pratique politique qui est en train de conduire notre pays au bord du chaos politique. Revenons sur les faits :
1-Bédié, président de la république, expression donc de l'Unité nationale, professe tout le contraire de ce qu'il définit comme valeurs du peuple Ivoirien. Dans son récent livre, Bédié se fait propriété et adepte de la théorie de la nouvelle Droite révisionnistes dont Bernard Lugan est un des ténors, pour classer les peuples de notre pays en deux : ceux ayant eu la loyauté, une organisation sociale et politique complète auxquels échoit naturellement la direction politique, économique et sociale du pays et ceux étant resté à l'époque de la pierre taillée, privilégiant des valeurs individualistes et peu démocratiques dont le leader n'est rien d'autre que « le plus bon danseur… le plus fort au combat ». Nous laisserons de côté pour le moment l'analyse académique de cette vision historique erronée et cette interprétation sociologique assurément effarante des valeurs des peuples de la part d'un président censé rassembler. Le séminaire que nous organiserons à Londres pour la diaspora ivoirienne en sera le lieu. Retenons tout simplement que cette théorie des tribus prédestinées n'est pas nouvelle même si la spécificité de la question ivoirienne en ajoute à l'appréhension de nombreux Ivoiriens.
2-Bédié, président de la république, a fait montre d'un zèle tribal sans équivalent depuis l'indépendance de notre pays. Dans sa stratégie politique, manquant visiblement de base sociale contrairement à Houphouët-Boigny, leader historique, Bédié s'appuie sur un clan de sa tribu élargi à celle de son épouse pour diriger. De la liquidation des élites des autres régions dans l'administration à celle de la politique d'uniformisation ethnique de la direction de l'armée, le pouvoir Bédié démontre tous les jours qu'il est complètement étranger à la culture de tolérance ethnique et politique, encore moins à la transparence démocratique. Dans une perspective plus historique, on comprend que la logique intrinsèque du pouvoir Bédié est bel et bien la transcription en acte de politique générale le concept de l'Ivoirité dans sa tête seulement applicable aux tribus d'origine « égyptienne ». La rigueur des faits atteste donc que le concept n'est ni intégrateur, ni tolérance, encore moins adhésion aux valeurs de nos peuples, dont il a certainement omis d'inclure la probité, la responsabilité du chef face à son peuple, la collégialité de la gestion politique, la flexibilité de la mobilité sociale, pour ne citer que les plus appropriés à la situation actuelle de notre pays. L'Histoire des peuples Akan, Sénoufo, Mandé et Krou corrobore notre propos. Akan ou pas, Krou ou pas, ce n'est pas certainement sous le règne des Gbon Coulibaly, Gbelli Kallé, Akaffou Awarê et autres que les pédophiles, prébendiers et autres acteurs à la moralité douteuse dirigeraient notre pays.
En réalité, l'Ivoirité n'est nullement un concept qui traduit la traduit la qualité et le sentiment d'être Ivoirien. Car sous le règne de Sir Henry, être Ivoirien s'est aussi traduit par la honte, la malhonnêteté et l'immoralité traduite en valeurs sociales. L'Ivoirité est aussi la pratique de l'humiliation permanente des peuples africains ayant vécu sur la terre de notre pays bien avant même que le concepteur de cette théorie. L'Ivoirité cache en fait une vision tout à fait simple de la donne politique : la Côte d'Ivoire appartient dans sa direction à l'élite du clan Akouè, leader naturel des peuplades sudistes non civilisées qu'il a le droit de traiter comme il entend et qu'un vulgaire rejeton des peuples nordistes ne saura ni ne prétendra jamais remettre en cause. L'Ivoirité est par conséquent expression d'une vision très fasciste de la vie politique ivoirienne. En d'autres termes, l'Ivoirité est le masque qui dissimule mal la nouvelle théorisation du tribalisme intégriste qui, soulignons-le, est à l'origine du drame des grands lacs. En définitive, pour nous autres nés après l'indépendance, la formule réplique de Wolé à Senghor demeure d'actualité : la tigre ne crie pas sa tigritude ; de même l'Ivoirien n'a pas besoin de crier dans la masse ce qu'il est tant il est vrai qu'il ne se perçoit nullement autrement que ce qu'il est. Nous pensons que beaucoup en Côte d'Ivoire n'ont pas la même aisance avec le fait naturel d'être d'Ivoirien et donc ont besoin de lois ou encore d'une armada plus clinique que cynique pour se convaincre qu'ils sont Ivoiriens. Pour le moment, si tant il est vrai que l'Ivoirité se veut adhésion aux valeurs démocratiques, pourquoi les tenants de la défense de la spécificité ivoirienne ne s'engagent-ils pas à se soumettre au feu de la critique et ne veulent nullement laisser au peuple pourtant souverain le soin de choisir librement et dans la transparence son Président ? Pourquoi n'accepteraient-ils pas une commission d'enquête autonome sur les candidats à la présidence de notre pays ou encore ne soumettraient-ils pas leur concept au referendum ? En dernière analyse, on aura compris que l'Ivoirité, comme toutes les théories fascistes et racistes, est la dérivée « étriquée, dégénérée, exacerbée » de la peur des dirigeants actuels incapables de voir le futur de notre pays sans eux. Et la peur lorsqu'elle tient les chefs dans ses grippes, conduit à l'irréparable. Et cela, Ivoirien de souche ou pas, aucun chef, si bleu ou « égyptien » selon son sang, n'a le droit de conduire notre peuple sur les chemins bien tortueux de la haine tribale destructrice et irréparable.
Martial Joseph Ahipeaud
Etudiant en PHD Histoire, School of oriental & african studies (Univeristy of London)
Ancien secrétaire général de la Fesci
Secrétaire général du congrès d'initiatives pour la démocratie (CID)