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Communauté des « Pieds nus » de Bobo-Dioulasso : les soldats de l'islam débarquent sur la « Base Bilal »
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- Titre
- Communauté des « Pieds nus » de Bobo-Dioulasso : les soldats de l'islam débarquent sur la « Base Bilal »
- Créateur
- Mahamadi Tiégna
- Editeur
- Sidwaya
- Date
- 1 août 2012
- Résumé
- Qui sont les mystérieux musulmans « Pied Nu » aux accoutrements obsolètes que l'on rencontre souvent dans la ville de Sya ? Pendant plusieurs mois, Sidwaya a tenté de percer le mystère de ces adeptes atypiques de l'Islam. Installés en 2008 dans un hameau de culture discret dénommé « Base Bilal » située à quelques encablures de Bobo-Dioulasso, les « pieds nus » assument leur appartenance à un courant islamique radical, prônant une application stricte de la « charia » (loi islamique) en vigueur depuis 2011 sur leur base.
- Sujet
- Abdramane Sylla
- Charia
- Ismaël Démé
- Sunnah
- Secte
- Terrorisme
- Radicalisation
- Fondamentalisme islamique
- Langue
- Français
- Contributeur
- Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0001354
- contenu
-
Qui sont les mystérieux musulmans « Pied Nu » aux accoutrements obsolètes que l'on rencontre souvent dans la ville de Sya ? Pendant plusieurs mois, Sidwaya a tenté de percer le mystère de ces adeptes atypiques de l'Islam. Installés en 2008 dans un hameau de culture discret dénommé « Base Bilal » située à quelques encablures de Bobo-Dioulasso, les « pieds nus » assument leur appartenance à un courant islamique radical, prônant une application stricte de la « charia » (loi islamique) en vigueur depuis 2011 sur leur base.
Courant 2009, les Bobolais ont vu « apparaître » dans leur ville de curieux individus aux pieds dénudés. Par leur apparence, leur accoutrement austère et singulier, ils ne passent pas inaperçus dans les rues. Vêtus de simples cotonnades de couleur blanche ou crème très aérées, ces groupuscules semblent assumer une simplicité et un passéisme voulus. Nous avons tenté de pénétrer leur univers hermétique et cherché à comprendre davantage cette confrérie des « pieds nus ». Sans adresse précise pour les retrouver, il faut les « filer » jusqu'à la sortie ouest de Bobo-Dioulasso, quelque part dans un no man's land boisé localisé entre les villages de Matourkou, Koumi et Logofourousso.
Pour y accéder, le visiteur doit braver de hautes herbes et des champs ensablés. Le sentier sinueux et très sableux qui y mène, n'est praticable qu'à motocyclette, à vélo ou idéalement à pied. La piste débouche sur une rivière pérenne dans laquelle coule une eau venue de nulle part. C'est au-delà de cette mare, dans un milieu où il n'y a aucun soupçon d'âme vivante, que les "pieds nus" ont élu domicile, sur une colline dénommée « Base Bilal ». Bilal étant un Ethiopien, premier muezzin de l'islam et compagnon du prophète Mohamed. La base est construite principalement en banco, coiffée de paille et se compose d'une mosquée sans minaret, d'une résidence du guide spirituel, d'une résidence des mariés, d'une autre pour les non mariés. Un drapeau blanc y flotte avec l'inscription « Dieu est unique » en arabe. La mosquée fait office de centre de formation.
A l'intérieur, à côté du Minbar (tribune de prêche de l'imam), sont placés deux gros fouets et un glaive destiné, nous l'avons appris plus tard, à la correction de tous les contrevenants à la loi islamique.
Nous ne savons pas ce qui nous attend à Base Bilal, encore moins l'identité de nos hôtes. Nous sommes face à une dizaine de cases sommaires où la volaille est le seul signe de présence humaine. Les femmes recluses dans leurs masures, ont pris le courage d'engager un dialogue surréaliste avec l'équipe de reportage. Tenant ces visiteurs téméraires à bonne distance, des voix féminines s'élèvent des maisonnettes pour nous dire que ?« les hommes ne sont pas là » en dioula.
Une dame ose mettre les pieds dehors, mais reste sur le pas de sa porte pour envoyer les enfants, qui avaient disparu d'un clin d'œil à notre arrivée, prévenir les hommes dans un champ tout proche. Nos craintes se sont dissipées lorsque notre premier interlocuteur, Ousmane Sy, a reconnu en nous, les journalistes curieux qui les ont taquinés un jour lors d'un de leur passage à Bobo-Dioulasso. Il sera rejoint par un de ses coreligionnaires, Mamourou Traoré. Nos T. AP (Techniques d'approche) semblaient avoir merveilleusement fonctionné. Que nenni ? ! L'ambiance bon enfant qui avait commencé à s'installer entre nous et nos hôtes, s'estompe à l'arrivée d'un membre de la confrérie, du nom de D. Siribié.
C'est un vieux à la barbe ondoyante et abondante, visiblement agacé par notre présence. « Pas de photos », décréta-t-il de go.
Les « pieds nus » sur les pas du Christ
Le vieil homme s'assurera d'abord que des images n'avaient pas été prises pendant son absence, avant de se soumettre néanmoins à nos questions. Les trois « Pieds nus » acceptent sans grande difficulté de converser avec nous, sous un hangar de fortune, histoire de lever un coin de voile sur la communauté musulmane des « Pieds nus » à laquelle ils appartiennent, « après avoir suivi les prêches d'un gourou » du nom de Abdramane Sylla. Documents à l'appui, le vieux barbu explique que les Pieds nus « sont une composante singulière du mouvement islamique qui s'identifie à l'application stricte du glorieux Coran et la Sunnah (la tradition musulmane, seconde source de la loi islamique avec le Coran) du prophète ».
De leur point de vue, le Coran et la « pratique purifiée » de la Sunnah sont « incontestablement le chemin lumineux que tout musulman doit emprunter pour se rapprocher d'Allah ». La simplicité de leur vie, explique le barbu, découle du fait que selon les écrits et les autres sources de l'histoire, de grands érudits et même des prophètes ont eu à marcher pieds nus dans leur vie. Il cite en exemple les prophètes Abraham, Issa Ibn Maryam (Jésus, fils de Marie), Mohamed et l'imam Malick. Cet acte de la marche « ?pieds nus ? » renseigne le vieux, se manifeste souvent sur ordre divin. « Pieds nus est une conception islamique signifiant pour ses adeptes, l'endurance, la croyance ferme en Allah, le djihad au quotidien. C'est le rejet de tout bien matériel et tout ce qui peut être source de corruption.
C'est dominer ses passions », précisera le vieux. Nos interlocuteurs tentent de nous persuader de tout le contraire de l'idée que nous nous faisons d'eux, c'est-à-dire une société qui refuse obstinément la technologie et le progrès. La simplicité de leur mode de vie nous a paru humainement difficile à supporter, et s'apparente manifestement à une misère indicible. Donnant l'air de s'apitoyer au contraire sur notre sort, ils rétorquent que « Dieu a conçu l'homme à un degré de perfection tel qu'il n'a pas besoin d'artifice pour vivre » (sic ? !). C'est la pierre angulaire de la philosophie des Pieds nus qui justifie, selon eux, le refus de tout autre moyen de transport que la marche et des commodités du monde moderne, telles les chaussures, l'habillement à l'européenne, l'école du Blanc. Ils ont tous une chose en commun ? : avoir abandonné religion (y compris l'islam ordinaire), famille, amis, biens et argent pour se retrouver pieds nus « sans aucune autre attache que Dieu ? ».
Entre la Charia et la famille
Un membre de la confrérie, Saïdou Traoré nous confie avec une certaine fierté avoir abandonné sa mobylette avant d'embrasser la vie des Pieds nus. Il affirme qu'il n'emprunterait aucun autre moyen de déplacement pour rien au monde. Sans autre protection qu'une pièce de cotonnade, leurs enfants ne savent pas encore qu'ils ne disposent pas d'acte de naissance et risquent même d'avoir les mains coupées un jour avec l'application de la charia, s'ils venaient à commettre un larcin. Les parents assurent que l'éducation religieuse qu'ils reçoivent suffit à leur bonheur terrestre. Selon M. Traoré, « être pieds nus » est loin d'être synonyme d'une vie en autarcie, car beaucoup de musulmans viennent de Bobo-Dioulasso chaque vendredi, pour prier avec eux.
Ils sont même persuadés que les autres musulmans voient en eux, « des hommes de vérité, des musulmans authentiques ». En effet, la communauté des « Pieds nus » se considère comme étant des Mouharidjirounes, c'est-à-dire « les soldats de l'islam » comme au temps du Prophète Mohamed. Ce sont eux, censés être les meilleurs, qui ont adopté le tissu blanc immaculé appelé « Daliba ». Ils ont pour mission de parcourir le monde avec le drapeau de l'islam, le Coran, le fouet et le glaive pour installer des bases, préparer le monde à l'application stricte de la charia, la seule condition de l'avènement d'un monde de paix.
A côté des soldats de Dieu, il y a les « Ansars », c'est-à-dire les « sympathisants » de la communauté des ?"pieds nus". Ceux-ci sont chargés d'accueillir les soldats, de les aider à s'installer et de pourvoir à leurs « besoins naturels ». Le site de la Base Bilal a été acheté par un sympathisant bobolais des Pieds nus qui a requis l'anonymat. C'est d'ailleurs un Ansar de la communauté Pieds nus, a dit A. Traoré, qui joue le rôle de secrétaire général de la secte. Nous l'avons retrouvé sur la base Bilal lors d'une de ses visites au grand imam des « pieds nus » pour le Burkina. Il a une vision tranchée de la pratique religieuse des Pieds nus. « On nous taxe d'avoir des comportements d'intégristes, fondamentalistes, mais ce sont là des habitudes du Prophète lui-même.
C'est l'effort de retour à la source que certains appellent radicalisme. Les “pieds nus“ prônent l'unicité de Dieu et la charia dont les musulmans modernes ne veulent pas entendre parler. Pourtant la charia, c'est le Coran, c'est ce que Dieu dit. Le radicalisme vise à faire face au modernisme qui a divisé l'islam en plusieurs factions. Il y a tellement d'injustices, d'assassinats sans vengeance que pour y remédier, il faut revenir à la source de l'islam », a opiné M. Traoré.
En phase avec les fous de Dieu du Nord-Mali
Les occupants de la Base Bilal sont venus, soit du Mali voisin, de la province du Kénédougou, de la Comoé et se sont tous rencontrés dans le cadre de leur nouvelle religion. Ce cosmopolitisme est présenté comme un signe d'ouverture. Ils assurent par ailleurs être en bons termes avec les habitants des villages voisins de Samagan et de Matourkou. Nos interlocuteurs déplorent aussi l'interprétation jugée « ironique et profane » véhiculée par leurs détracteurs animés, selon eux, par la seule volonté de discréditer les « pieds nus ». En effet, des groupes de fanatiques musulmans se sont illustrés courant 2009 dans la région des Hauts-Bassins pour des actes de refus de la vaccination et de destruction d'une école dans le village de Sokouraba.
Les « pieds nus » que nous avons rencontrés rejettent sans grande conviction ces actes imputables, à leurs yeux à d'autres groupes. Ils précisent par ailleurs que des groupes de « pieds nus » sont installés dans la commune de N'Dorola, à Soungalodaga (un hameau de culture situé dans le futur lit du barrage de Samendéni), très récemment à Ouagadougou dans des bases secondaires et à Tombouctou au Mali où réside le guide spirituel des « pieds nus », Cheick Ibrahim Khalil Kanouté (voir encadré). Le numéro de téléphone du gourou nous sera d'ailleurs remis pour nous permettre de poursuivre éventuellement nos investigations.
A propos de l'actualité dans le Nord du Mali, les "Pieds nus" du Burkina rejettent toute responsabilité mais jugent « normaux » les actes de destruction des islamistes « avec qui nous partageons les mêmes objectifs ». Pour les « pieds nus », ceux qui veulent vraiment suivre le prophète Mohamed doivent forcément appliquer la charia, la loi divine qui prime sur celle du monde moderne (les lois de l'Etat). « Il y a chaque jour des crimes, on n'en parle pas. Pourquoi on qualifie d'inhumains les crimes liés à l'application de la charia ? », interroge le secrétaire général des "pieds nus". Il rappelle au passage que la charia a déjà été appliquée au Burkina Faso en 2011 sur une des bases des "pieds nus" à Samagan, le village qui avait abrité leur rencontre bisannuelle. L'émir d'une base a été flagellé publiquement un vendredi, de 80 coups de fouets pour avoir diffamé la secte. Les « pieds nus » assurent que la sentence a été prononcée équitablement et exécutée dans les conditions prévues par la charia.
Dans leur majorité, les musulmans de Bobo ne se reconnaissent pas dans les agissements des "pieds nus". C'est le cas du Cheick El Hadj Ismaël Démé, islamologue, spécialiste de philosophie arabe et conseiller à la mairie de Bobo-Dioulasso chargé des relations avec les pays arabes. Il dit respecter les pieds en tant qu'êtres humains. M. Démé s'inscrit en total désaccord religieux avec eux car l'islam, selon lui, est une religion de paix, d'hygiène, d'amour du prochain, de sagesse, de tolérance. « Personne ne peut nier la modernisation, le développement, la civilisation islamique. Les Pieds nus sont des fous ou des malades. Et les musulmans ont déjà assez de problèmes dans ce monde, qu'on n'en rajoute pas des problèmes de fous ? », a tranché El Hadj Ismaël Démé. Très catégorique, l'islamologue a déclaré qu'il n'existe aucun lien entre les « pieds nus » et l'islam.
Aujourd'hui, les "pieds nus" reconnaissent un petit nombre d'adeptes à cause, selon eux, du rigorisme de leur pratique. Ils seraient 14 soldats de l'islam au Burkina Faso. Ceux de la « Base Bilal » ont à leurs côtés, des enfants de 8 à 10 ans. Sans d'autres projets en tête, ces tout-petits ont déjà le discours de l'apocalypse. Rodés, ils tentent déjà avec une agressivité insoupçonnée, de convaincre le visiteur sur la vanité de la vie matérielle et le prix à payer : l'enfer.
Mahamadi TIEGNA (camerlingue78@yahoo.fr)
Les origines d'une secte à la réputation sulfureuse
Le Cheick Ibrahim Khalil Kanouté est né en 1965 à Kayes au Mali. Fils d'un postier, il n'a pas bénéficié d'un enseignant coranique. Inscrit en électricité au Lycée technique de Bamako, il arrive à douter de la science occidentale et à être dégoûté du système. En 1984, il aurait eu une révélation à Bamako, où une voix lui aurait intimé l'ordre de se « lever et de prier le Seigneur ». C'est le début de son engagement islamique qui sera ponctué de longues médiations, après avoir démissionné de toute responsabilité sociale. Il s'adonne au soufisme et s'engage à marcher sur les pas du prophète Mohamed. Sa popularité grandit progressivement et son dégoût pour le système aussi.
Au point de refuser les métiers de gendarme et de comptable dans une banque, et d'abandonner tout matériel moderne ? : montre, radio, moyen de transport moderne, source d'instabilité pour lui dans son ascension spirituelle. Il quitte sa famille et tente à Markacoungo, de former une société purement régie par la charia. Puis, il adopta un style vestimentaire conforme à sa conviction de détachement du matériel ? : un daliba (cotonnade tissée à la main), des chaussons en cuir, un bâton. Le style "pieds nus" est né. Son discours convainc lors de ses déplacements et des disciples, les jeunes surtout, grossissent les rangs des "pieds nus". Ses activités de prosélyte se résument à des prêches et des destructions de toutes formes visibles de fétichisme ou autres lieux d'adoration jugés sataniques. Les Maliens retiendront des "pieds nus", l'épisode sanglant d'une confrontation qui a entraîné la mort d'un juge et de 10 "pieds nus" en 1998 à Dioila à 135 km de Bamako.
Le guide spirituel de la communauté sera condamné pour cela à la perpétuité, à la suite d'un procès en 2000, de même que ses sbires. Il a purgé sa peine à Tombouctou jusqu'à l'occupation de la ville en mars dernier par les groupes Islamistes. Il est alors libéré. Aux dernières nouvelles venant de la Base Bilal, leur guide serait en route vers Bamako.
M.T.
Source : Le secours divin
Liste des bases ou camps des "pieds nus" dans la sous région
Bamako (Sas Siddy)
Ségou (Al Farouk)
Kayes (Zour Noureine)
Sikasso (Sadja Bahr)
Tombouctou ( Saad Ibn Wagas)
Mopti (Saad Ibn Malick)
Kolikoro (Tal Hata Ibn Obeïda)
Gao (Abderahiman Ibn Auf)
Kidal (Zou Beïr Ibn Awani)
Tingréla en Côte d'ivoire (Zeïd Ibn Thabit)
Bobo-Dioulasso au Burkina Faso (Base Bilal)
Guinée-Conakry (Khalid Ibn Walid)
M. T
Source : Le secours divin